Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Le Cygne (II)
Étude linéaire
Introduction
Ce poème est une dédicace à Victor Hugo, qui était à l’époque exilé à Gurnesey en 1860.
• 1ère strophe : Le poète évoque le Paris qui change. Il se réfugie dans ses souvenirs et dans ses créations.
• Strophes 2 à 5 : Énumération des exilés avec lesquels il se sent en solidarité (cygne-Andromaque-négresse-orphelins) : il fait une généralisation.
• Strophe 6 : Conclusion : dans l’exil (celui du poète aussi). Le souvenir prend toute sa place et aide le poète à vivre.
1ère strophe
Paris est pour le poète un réservoir d’inspiration. L’homme de change pas : seul le monde autour change. L’homme est le souvenir à cause de la grande faculté qu’il a : la permanence du souvenir et de l’art.
Antithèse fondamentale : « mais » : à ce moment, le « je » du poète s’affirme à travers un pronom personnel « ma ». Il introduit une énumération de Paris à travers ses sentiments, ce qui va lui permettre de marquer une opposition.
En effet, il oppose la réalité à l’imaginaire : au vers 4, il dit clairement que son imaginaire a plus de poids que la réalité (opposition marquée par le vocabulaire : « roc » et « allégorie » qui n’ont pas le même « poids »). Baudelaire veut montrer que la réalité ne pèse pas lourd à côté de ce qu’il en tire lui, c’est à dire des symboles. C’est une inversion complète des valeurs : la construction de l’imaginaire étant plus solide selon l’auteur.
L’allégorie est pour lui un symbole, et donc le moyen de méditer sur de nombreuses choses.
Il y a de plus une énorme sensation de poids dans cette 1ère strophe à la fois agréable et désagréable (ambigu) : le souvenir lui donne du poids qui est réconfortant face à une réalité qui change.
2ème strophe
Le mot de liaison « aussi » a ici une valeur de « donc ». Le pronom démonstratif « ce » est une marque du présent, d’une nouvelle scène. Le verbe « opprime » donne ici encore une sensation de poids désagréable : cela signifie qu’il évoque une sensation douloureuse en essayant de se rappeler ses souvenirs. D’ailleurs le pronom personnel « mon » signifie qu’il s’est approprié l’image du Cygne, et donc qu’il s’en souvient. (« Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fais de l’or – Alchimie ») C’est-à-dire son image du cygne est éternisée à jamais. Le cygne devient alors un symbole : « grand ».
L’image du cygne va en fait servir de transition vers les références culturelles. La mythologie va être appelée par l’image du cygne. Ce dernier s’élève à la grandeur mythologique. D’ailleurs, il faut noter l’ambiguïté des termes entre « signe » et « cygne ». Ici, le cygne évoqué par Baudelaire est un « signe », une « image » le jour où il l’aperçoit.
Les « gestes fous » évoqués ne sont pas connotés péjorativement. Baudelaire montre que c’est cela qui l’intéresse. Il cherche à comprendre l’incompréhensible.
Élargissement au vers 7 à la symbolique de l’exil, dédiée à Victor Hugo.
Antithèse : « ridicule » et « sublime ». Par cette antithèse, Baudelaire veut montrer que le ridicule est sublime. Andromaque est ridicule devant le tombeau vide (car elle sait qu’il n’y a personne à l’intérieur) mais sublime en même temps car touchante. Casimodo est ridicule avec sa bosse et son œil mais sublime dans son dévouement jusqu’à la mort. A noter aussi la structure en chiasme de cette formule « i » »u »/ »u » »i ».
3ème strophe
Andromaque revient (c’est d’ailleurs le point de départ de toute la chaîne des images) : – vouvoiement – la virgule – qualificatifs mis en apposition – adjectifs marquant la déchéance.
Andromaque est déchue, car comparée à un « vil bétail » alors que le cygne est personnifié. Le « sous » évoque la servitude d’Andromaque (comme si elle était devenue esclave). La « superbe attention » montre l’orgueil et l’arrogance de Pyrrhus (sens latin du terme). A noter de plus une allitération en « s » et en « v ».
Le verbe « courbé » en fin de vers montre tout le bouleversement de l’auteur. Andromaque a l’amour du symbole (sachant que le tombeau est vide) : elle a le sens des signes comme Baudelaire.
Le « Hélas » est désigné et à « Andromaque » et à « Hector ».
Ce texte a comme intérêt de nous montrer presque comment est fait un poème de Baudelaire à travers les associations d’images, les références.
4ème strophe
La strophe centrale est très importante et travaillée : syntaxe – sonorités – rythme – références. Le « je pense » marque un retour à l’anaphore. La « négresse » vient de l’antithèse avec le cygne blanc. Le « i » mouillé est une variante du « i » tragique. L’amaigrissement montre le destin déchu de Andromaque. La « superbe Afrique » est élogieux car gigantesque pays.
Le terme « hagard » reprend les gestes fous du cygne. L’œil souligne le regard, c’est grâce au regard qu’on voit la raison et la déraison. L’œil d’Andromaque est allumé par la folie. Elle devient folle de chercher ce qu’elle ne trouve pas, comme le cygne avec l’eau.
Métaphore : le brouillard devient un mur : infranchissable = dureté de la ville. Sonorité – rythme – image – métaphore.
5ème strophe
Le « A qui » est un élargissement. Baudelaire a focalisé sur deux images puis a créé une ouverture. Le poème va d’ailleurs en s’élargissant.
« jamais-jamais » : sonne la fin des espoirs. Oxymores : « s’abreuver » : des pleurs (cf Vinaigre du Christ). Montre que ces gens là s’enfoncent dans le désespoir. Le verbe « téter » connote le sein maternel mais de la Douleur : comme une bonne louve (cf Romulus et Remus). Ce passage reprend aussi les pleurs d’Andromaque. Séchant comme des fleurs, dans des herbiers.
6ème strophe
On arrive au poète : c’est le bout de la chaîne des exilés. « Ainsi » annonce la conclusion : le verbe « exile » rappelle le point commun de tous ces gens là. La forêt est encore une fois un symbole (cf IV « Spleen et Idéal »). Le « Souvenir » est la consolation du poète. C’est le souvenir qui souffle du corps : métaphore. Qui signifie « souffler beaucoup » et l’allitération en « s » souligne le bruit du soufflement.
Il rallonge sa conclusion en introduisant « je pense » qui est encore une fois l’anaphore du « je ». Les matelots sont une allusion au voyage forcé de Baudelaire à L’île Maurice où il avait été envoyé pour se calmer. On retrouve encore le « i » tragique que l’on retrouve bien sûr dans le mot « exil ».
Le dernier vers est troué par la ponctuation. L’ouverture est la condition humaine qui est en proie au Spleen.
Conclusion
Le thème de la ville permet à Baudelaire de trouver des symboles forts, ici un Cygne échappé, qui traduisent sa mélancolie existentielle, liée à notre condition de mortel et d’être imparfait. Il reprendra le même procédé dans le « Spleen de Paris » mais sous une autre forme d’écriture : le poème en prose. La ville ici est définitivement devenue pour lui un symbole d’exclusion et de solitude. L’albatros, le Cygne sont autant de symboles de la condition du poète.
Félicitations pour cette analyse linéaire pertinente qui a aidée énormément d'élèves en commençant par moi. Merci beaucoup !