Molière, Dom Juan, Acte IV, Scène 6, La Tirade Done Elvire
Introduction
A l’acte I, Done Elvire était apparue comme une femme blessée, furieuse et toujours passionnément amoureuse. Dans la fureur, elle appelait sur Don Juan la colère du Ciel. C’est un personnage métamorphosé qui surgit au IVème acte, Elvire « du soir » est complètement différente d’Elvire du matin même. Touchée par la grâce, convertie, elle tente une démarche dans l’intérêt de son ancien amant. Dans une longue tirade très émouvante à peine interrompue par quelques répliques de Don Juan et Sganarelle, Elvire fait part à Don Juan de son intention de le sauver. Nous étudierons d’abord la tonalité de cette tirade, puis nous verrons quelle est la fonction de cette scène dans la destin de Don Juan.
I. Quelle est la tonalité de cette tirade ?
Le style frappe par sa noblesse et la tirade oscille du pathétique au tragique. Le discours d’Elvire constitue une sorte de serment, discours religieux destiné à alterner la façon de penser d’un autre, où la solennité n’empêche pas l’émotion. C’est ainsi que les phrases du discours d’Elvire sont presque toutes longues, fermement construites. Elle maîtrise tout à fait son discours mais le rythme est en général assez mélodieux même si le sujet est sévère. La syntaxe elle-même témoigne de la sérénité de la nouvelle Elvire désormais touchée par la grâce.
Cette sérénité n’empêche pas l’émotion de transparaître, avec un certain nombre de « de grâce », la série d’impératif : « Ne soyez pas… ». L’appel à la pitié de Don Juan par l’évocation de ses larmes « Je vous le demande avec larmes ». Et pourtant le langage d’Elvire reprend le langage traditionnel à celui des prédicateurs. Molière s’est inspiré de modèles, de textes religieux. Formules conventionnelles : « pour votre bien », « le ciel a banni de mon âme ». Les champs lexicaux de la faute, du salut de l’âme et de la foi accompagnent le vocabulaire religieux. On trouve beaucoup de lieux communs à la prédication, mais le discours ne se limite pas à ça, il est frappant de constater comment l’amour pour un homme s’est métamorphosé en amour mystique pour elle. Elle utilise un langage bien proche de l’amour, pour appeler Don Juan a aimer Dieu. Il n’y a pas d’ambiguïté dans ce langage, on y voit une transmutation de l’amour, ce qui fait qu’elle n’hésite pas à appeler le passé, elle n’a plus de crainte.
Aucune brutalité dans ce discours, la douceur domine l’ensemble de la tirade, pas d’agressivité à l’égard de Don Juan. Il y a des éléments d’une autocritique qui épargne Don Juan, elle s’adresse des reproches mais ne l’inclut pas dedans. Il semble qu’elle fasse exprès de limiter les reproches envers lui, elle fait allusion aux dérèglements de sa vie et ses offenses, ce ne sont pas des reproches particulières. Elvire veut lui faire part d’un avis du Ciel.
II. Quelle est la fonction de cette scène dans le destin de Don Juan ?
Cette demande lui a été inspirée par Dieu, un sentiment de charité, pour sauver Don Juan, comme souvent, c’est un personnage féminin qui prend le rôle de sauveur. Le sort de Don Juan la touche à cause de l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Le discours d’Elvire prend une allure prophétique. Elle vient lui signifier l’extrême urgence de la nécessité de se repentir. Elvire rappelle qu’on approche de la fin de la pièce. Le spectateur depuis la scène du tombeur a compris que Don Juan est allé trop loin dans l’outrage. On sait qu’une menace plane sur lui, de ce point de vue le message d’Elvire est clair : « vos offenses… prompt repentir », riche en mots de vocabulaire de l’urgence, le risque encourut par Don Juan est exprimé de façon plus précise, c’est l’Enfer. Il est d’abord question du précipice, de la colère redoutable, le plus grand de tous les malheurs, de subir l’épouvantable coup qui le menace. Don Juan est sur le point d’être condamné à des supplices éternels. Par l’emploi de tous ces mots, l’accumulat de ces menaces, Elvire tente d’effrayer Don Juan mais l’impact de cette rhétorique mystique sur lui est sans résultat.
Le discours n’a pas ému Don Juan, mais a fait de l’effet sur Sganarelle qui est sentimental et qui s’est laissé toucher. Don Juan est agacé de voir son valet pris au piège de ce discours : « tu pleures, je pense ». Don Juan laisse parler Elvire, ce silence est particulièrement éloquent, il traduit l’indifférence de Don Juan à ce serment, il ne se soucie pas du contenu des propos, on peut imaginer qu’il s’impatiente, qu’il n’écoute pas et que surtout il considère la femme qu’il a devant lui. Les propos ne l’attirent pas contrairement à Elvire même si elle est dans une tenue insolite, il peut être sensible à la beauté qui se cache derrière le voile. Il se contente d’inviter Elvire à passer la nuit chez lui sous prétexte qu’il est tard mais dans la scène suivante, il avoue à Sganarelle qu’il a subit un trouble face à Elvire qui a réveillé en lui un petit feu éteint : c’est l’incorrigible séducteur, l’homme de plaisir que ce discours a touché. Elvire a parlé « dans le vide » mais Don Juan a fait un pas de plus vers l’Enfer en donnant une preuve supplémentaire de l’endurcissement de son cœur.
Conclusion
Comme le disait Louis Jauvet, il y a de la sainteté, le caractère sublime et pathétique de cette jeune femme qui nous touche par sa force céleste, mais fait d’elle une véritable héroïne tragique. Cette alliance de tous les registres, de la farce au tragique : tragique du discours d’Elvire et comique de Don Juan qui est caractéristique de cette pièce.