Jean de La Fontaine

La Fontaine et Anouilh, La Cigale et la Fourmi, Dissertation

Fable étudiée

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’Oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ? »
Dit-elle à cette emprunteuse.
? Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
? Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant.

La Fontaine, Fables

Introduction

« La Cigale et la Fourmi » de La Fontaine s’inspire d’un texte court d’Esope. Esope explicite toujours une morale alors que chez La Fontaine, le lecteur la tire de lui-même. Anouilh, au XXème siècle, s’inspire du texte de La Fontaine en reprenant textuellement les deux premiers vers mais la transforme puisque nous ne trouvons plus dans sa fable que la Cigale. Il écrira une autre fable : « La Fourmi et la Cigale ». L’étude comparée montrera la progression du récit dans les deux textes, et ensuite la place et le portrait de la Cigale, dans l’un et l’autre texte.

I. La progression du récit dans les deux textes

Longueur fable. Heptasyllabe (La Fontaine). Chez Anouilh 27 vers mêlés, vers hercotectoniques, surtout octosyllabes et alexandrins. Chez La Fontaine, ni morale ni exposé didactique. Seule intervention v.14/15. Chez Anouilh le texte est beaucoup plus développé, décomposé en 4 étapes marquées par des blancs. Entrée en matière directe dans les deux cas, quelques vers rapides pour présenter la cigale et pour introduire le thème. Deux premiers vers identiques chez La Fontaine, artiste insouciante, chez Anouilh, artiste intéressée. Opposition marquée par le jeu de mots pourvu/dépourvu. Transposition, inversion de situation. Insistance avec proverbe. Schéma identique à partir de l’opposition. « Elle alla » v.6, chez Anouilh au vers 9 « elle alla ». « Fourmi » La Fontaine : renard ; Anouilh : la visée de la requête s’inverse. Composition différente. Chez La Fontaine, amène argumentation, chez Anouilh très développé. La Fontaine veut montrer que la pauvreté n’a aucun argument pour se défendre, même la promesse de remboursement. Pas d’argument. La fourmi richesse égoïste n’a pas d’argument – emprunteuse = connotation dévalorisante. Intervention de La Fontaine, commentaire dépréciatif « n’est-ce pas ». Comparatif moindre. La Fontaine condamne la fourmi. Chez Anouilh l’argumentation est très développée, le renard banquier deploit toutes les ressources de sa ruse pour gagner de l’argent au détriment de l’artiste. V.16 au v.20 : ironie, termes dépréciatif dans les adjectifs qui répriment le contraire de la pensée du renard. Les débuts et fins d’intervention sont très flatteurs. La ruse représente l’artiste, l’inspiration. Chez la cigale le propos est marqué par une rationalité, ton froid v. 37 v.38, très concise. La cigale cherche l’appât du gain, elle est prête à toutes les cruautés. Discours froid. Longueur due à l’argumentation. Conclusions symétriques. Chez La Fontaine, la cigale est conduite. Brièveté de ses vers. Poids du verbe à l’impératif. Désinvolture « eh bien », adverbe de temps « maintenant ». Chez Anouilh le renard s’incline. Désinvolture finale.

II. La place et le portrait de la cigale

A. Sa place

Chez La Fontaine, elle est la 1ère nommée du titre. Chez Anouilh, c’est la seule nommée. Dans le récit chez La Fontaine elle occupe l’essentiel du récit, mais elle reste vaincue. Chez Anouilh les parties 1 et 3 sont consacrées à la cigale (8 + 23 vers). C’est celle qui argumente et qui domine le renard. La Fontaine courtoisie, sincérité, honnêteté de la cigale. Anouilh : cigale désinvolte, distante, autoritaire, hypocrite.

B. Le portrait

Symétrique mais opposé. Pauvreté / richesse.
Candeur / cynisme.
Le « fort dépourvu » insiste v.5 « pas un seul petit morceau », phrase nominale très négative. Insistance sur dénuement extrême de la cigale car « mouche » tout petit « crier famine ». v.6 expression très condensée « quelques grains pour subsister », accentuation de cette pauvreté. Chez Anouilh la richesse est marquée, symétrie du vers 3 et vers 6, richesses, « établissement » évoque le placement. Candeur / cynisme : deux substantifs. Chez La Fontaine, « candide » directe, de bonne foi, donne sa parole, elle donne une date, paroles d’engagements. Cynisme chez la cigale d’Anouilh v.32 « je crois que l’on s’amuse » v.36/37/38 par deux fois elle évoque le « taux », 2x bénéfice léger pour l’autre, soucis de son gain, légèrement = renard grossisse = elle. Transparence d’un coté, duplicité de l’autre. Cigale authentique évoque sincèrement son occupation principale et unique. Chez Anouilh elle est fausse, elle masque son cynisme, son intérêt sous une apparence souriante, et son maquillage. Hyperbole « noyée sous le fard » + métaphore. Phare = hypocrisie adjectif « minaudière », préciosité 3x, Anouilh évoque le fard qui insiste sur l’apparence. Le renard perçoit ce regard d’acier, froid, calculateur. Élégance marquée par le participe « drapée » et « comble d’ironie ».

Courtoisie, autorité. Cigale de La Fontaine « la priant ». Cigale d’Anouilh : « j’entends » « je veux » « je sais ». Cruauté. V55, sans pitié pour les pauvres propos terrifiants, le sourire cache sa cruauté, duplicité épouvantable.

Conclusion

La Fontaine souligne les dangers de l’imprévoyance et de la vie peu soucieuse des réalités matérielles. Souligne les déboires de la vie d’artiste.

Chez Anouilh la cigale est très intéressée, il veut montrer qu’il est naïf de prendre des artistes pour des gens désintéressés puisque le plus cynique des deux n’est pas celui qu’on croit. Il critique la société de son temps, très matérialiste et superficielle. Modernisation, re-création.

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