Charles Baudelaire

Baudelaire, Le Spleen de Paris, Le Port

Poème étudié

Le port

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.

Baudelaire, Le Spleen de Paris (Repris en 1864 sous le titre Petits poèmes en prose)

Introduction

A partir du XIX ème siècle, le vers mesuré et la rime ne constituent plus des critères essentiels de l’écriture poétique. Ainsi, nombre de poètes se libèrent des contraintes formelles de la poésie traditionnelle et composent des poèmes en prose

Après la découverte du recueil Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand, Baudelaire s’est aussi attelé au genre du poème en prose. Il écrivit Le Spleen de Paris publié en 1869 après sa mort. Avec Les Fleurs du Mal, il est considéré comme le précurseur de la poésie moderne.

Quand Baudelaire a écrit les poèmes en prose, il se trouve à Bruxelles où, usé par la drogue et par l’alcool, il voit encore devant lui se fermer toutes les portes.

Fatigué de lutter pour une vie qu’il n’aime pas, il trouve dans ce poème, grâce à une prose poétique et à la définition d’un paysage, le pouvoir d’analyser ses états d’âme.

I. Un poème du voyage et de l’évasion

1. L’importance symbolique du port

Baudelaire reprend tout d’abord un thème qui lui est cher et qu’il a maintes fois défini dans Les Fleurs du Mal, celui du voyage et de l’évasion.

Dès la première ligne, qui est un départ, l’on rencontre le mot « port » si symbolique. Il évoque pour le poète la libération d’un pays lointain.

Mais ce mot est aussi la marque de la mort avec laquelle on part pour de grands voyages. Ce thème d’ailleurs est cher à Baudelaire, qui la voit comme une bénédiction.

2. L’importance du ciel

Nous approchons maintenant d’un autre domaine qui est celui de la métaphysique. En effet, le mot « ciel », plein d’une suave poésie, symbolise l’idéal, qu’Hugo et Mallarmé « rêvent » aussi dans les moments de découragement.

Ce sentiment s’intensifie encore, car « l’architecture mobile des nuages » donne au poète un asile sacré, où il peut se reposer des « fatigues de la vie », tout en satisfaisant son désir de voyage puisqu’elle est mobile.

3. Le rôle des phares

· L’espoir de l’homme est évoqué dans une vision fulgurante par les « scintillements des phares » qui le guident dans la tempête.

· Mais ce sont aussi les grands artistes, qui donnent à Baudelaire la joie de vivre en aimant la beauté. Il les a donc célébrés dans un de ses poèmes « Les Phares ».

4. Les navires

· Enfin un élément concrétise ce désir d’évasion : les navires. Ceux-ci aux « formes élancées » vont permettre au poète d’assouvir sa passion de l’aventure.

· Puis ces nobles vaisseaux vont devenir la femme aimée, belle et svelte, « à laquelle le désir de l’amant symbolisé par la houle » imprime par les oscillations harmonieuses de son cœur, l’invitation à chercher la chambre idéale, où les amants retourneront à la source première de leur âme, qui est la vie antérieure.

· Ce thème du voyage avait déjà été présenté dans « L’Invitation au voyage », où le poète priait la femme aimée, sa sœur, de le rejoindre grâce à et par l’eau d’où naît toute vie, ce dont a témoigné Botticelli dans « La naissance de Vénus ».

II. Les aspirations du poète

1. La quête du bonheur

L’âme du poète est envahie aussi par la souffrance, d’où il tire quand même le bonheur, c’est l’inspiration des Fleurs du mal.

Malgré une âme fatiguée d’un séjour qu’elle n’aime pas, des « luttes de la vie », l’homme est amené à recevoir par les yeux l’enchantement du prisme dont se chargent les regards « brillants à travers leurs larmes purificatrices », « sans jamais se lasser ».

2. La suprême vision des choses de l’au-delà

Ce terme rejoint le mot « fatiguée », mais il est anéanti par la double négation, « sans jamais », qui imprime à l’expression une valeur d’éternité.

Elle exprime non la cécité totale mais la suprême vision des choses de l’au-delà, inaccessibles aux hommes qui ne veulent pas les entendre.

Baudelaire a exprimé ses désirs profonds, qui sont l’amour du voyage, et sa pensée que du mal et de la souffrance le poète peut faire naître le beau.

3. La recherche métaphysique

Le poète a introduit aussi une atmosphère mystique, symbolisant sa recherche métaphysique.

Cette profondeur religieuse est tout de suite introduite par l’adjectif « charmant » qui évoque la magie, et ses filtres versés dans le cœur du poète pour lui permettre d’accéder aux « sphères supérieures ».

Cette impression de cloître et de silence est renforcée aussi par les termes « ampleur » et « architecture », termes concrets et abstraits qui imposent la vision grandiose d’une cathédrale gothique, aux formes harmonieuses.

Les « prismes » si merveilleusement beaux peuvent évoquer les splendides vitraux où se joue le soleil durant le jour.

Les oscillations harmonieuses des navires n’évoquent-elles pas les vastes encensoirs, dans les temples où s’entretiennent les feux sacrés ? Ceux-ci donnent au poète l’enthousiasme, et attisent en lui le culte de la beauté qui est la source de toute libération.

III. Un paysage envoûtant

1. La créativité de l’homme

Cette perfection est évoquée dans le poème par l’image d’un paysage envoûtant, qui éveille la créativité de l’homme. Nous assistons premièrement à la description d’une architecture magnifique, digne de Michel-Ange.

Le palais de la beauté est bâti dans le ciel mais il est relié à la terre par les piliers d’un temple que sont les « nuages mobiles ». Ces grandes bâtisses grecques sont la mesure du génie du poète et de la soif de vérité, qui pour lui, se trouve dans l’art.

2. L’éveil de sens

Tous les sens sont en éveil ; par une correspondance picturale, le poète parle alors des paysages hollandais qu’il a tant aimés et qui sont immortalisés par Vermeer, Ruysdaël, il aime aussi Delacroix et ses « ciels chagrins ».

Dans un fondu de couleur il évoque certains paysages de Lorrain.

Mais cette gaieté riche en impressions et en couleurs nous fait contempler les tableaux du doux Watteau.

3. Les changements d’états de l’âme

Ce mélange des teintes exprime donc les changements d’états de l’âme, aussi compliquée que les formes des navires.

Alors s’élève une lente mélopée aux « oscillations harmonieuses », entretenant le « rythme », par les « bateaux qui reviennent et ceux qui repartent », cadences qui ont inspiré les musiciens Duparc et Debussy.

Conclusion

Baudelaire a réussi à définir d’une très belle façon ses états d’âme, où se mêlent la tristesse mais aussi la jouissance de la beauté, qui seule satisfait le cœur de l’homme.

Par l’atmosphère mystérieuse qui plane autour du poème, il se fait sacrer prêtre, grâce à un rituel, au temple de la beauté.

Enfin, le verbe « enrichir » plein d’une sensualité orientale et des parfums « triomphants » montre l’accession à la plénitude « voulue » par le poète, grâce à l’art qui pour lui « est le meilleur témoignage que l’homme puisse donner à sa dignité ».

Du même auteur Baudelaire, Les Fleurs du Mal, L'Albatros Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Correspondances, Commentaire 1 Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Le Balcon Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Obsession Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LVI, Chant d’Automne Baudelaire, Les Fleurs du Mal, III, Elévation Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Hymne à la beauté Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen, Quand le ciel bas et lourd... Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Recueillement Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Quand le ciel bas et lourd

Tags

Commentaires

0 commentaires à “Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Quand le ciel bas et lourd”

Commenter cet article