Victor Hugo

Hugo, Les Contemplations, Tout vient et passe

Texte étudié

On vit, on parle, on a le ciel et les nuages
Sur la tête ; on se plaît au livre des vieux sages ;
On lit Virgile et Dante ; on va joyeusement
En voiture publique à quelque endroit charmant,
En riant aux éclats de l’auberge et du gîte ;
Le regard d’une femme en passant vous agite ;
On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois !
On écoute le chant des oiseaux dans les bois ;
Le matin, on s’éveille, et toute une famille
Vous embrasse, une mère, une sœur, une fille !
On déjeune en lisant son journal ; tout le jour
On mêle à sa pensée espoir, travail, amour ;
La vie arrive avec ses passions troublées ;
On jette sa parole aux sombres assemblées (1) ;
Devant le but qu’on veut et le sort qui vous prend,
On se sent faible et fort, on est petit et grand ;
On est flot dans la foule, âme dans la tempête ;
Tout vient et passe ; on est en deuil, on est en fête ;
On arrive, on recule, on lutte avec effort…, –
Puis le vaste profond silence de la mort !

Hugo, 11 juillet 1846 (Les Contemplations, 1856)

(1) C’est le 19 mars de cette même année 1846 que V. Hugo avait prononcé son premier discours à la Chambre des pairs.

Introduction

En 1856, Victor Hugo a tout connu : la gloire littéraire et politique, le bonheur familial, la passion avec Juliette Drouet, mais aussi la trahison de ses proches, la déception de la révolution de 1848 et du coup d’Etat de 1851, l’exil, et surtout la terrible épreuve de la mort de sa fille Léopoldine.

Le Livre IV des Contemplations, « Pauca meae « (« un peu de moi »), est consacré à Léopoldine, la fille aînée de Hugo morte noyée à dix-neuf ans. Dix ans après le drame, le poète peut enfin trouver les mots pour exprimer sa douleur, sa révolte contre un Dieu qui a permis cette injustice, puis sa résignation.

Or, moins de trois ans après Léopoldine, la fille de Juliette Drouet, la compagne de V. Hugo, est morte à son tour. Ce poème qui lui est consacré trouve tout naturellement place dans le recueil.

Ce poème a été composé le 11 juillet 1846, au retour du cimetière de Saint-Mandé, où venait d’être inhumée la jeune Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet.

A l’occasion des obsèques de Claire Pradier, la fille de Juliette, il se tourne vers sa vie et en tire des leçons. Le titre du recueil prend alors tout son sens, c’est une contemplation.

I. La vie : suractivité

1. Le déroulement : l’ordre de la vie

Hugo évoque les temps forts de sa vie : la formation (v.2-3) ; la vie sociale (v.3-5) ; les amours (v.6-8) ; la famille (v.9-12) ; l’engagement (v.13-19).
On note la progression du poème : les épisodes sont de plus en plus longs.

2. Une vie heureuse et active

Le texte développe différents champs lexicaux se rapportant à une vie heureuse et active.
La joie : « se plaît, joyeusement, charmant, riant aux éclats, bonheur ». Toutefois ce champ lexical est surtout abondant au début du texte, dans l’évocation de la première jeunesse.
L’activité : « on va, passant, jette, recule, lutte » etc. A l’inverse, ce champ lexical est plus net dans la deuxième moitié du texte, celle représentant l’homme actif.
L’activité désordonnée est également visible dans le rythme poétique, les rejets (vers 1 et 2, 9 et 10) , contre-rejets (vers 3 et 4, 11 et 12), les coupes remarquables : le vers 13 impose une coupe forte mais surprenante après « arrive » – 4 / 8 – et la diérèse de « passions », ou celles du vers 1 : 2/2/8.

3. Un mouvement d’expansion

On repère très peu de liens entre les différentes actions mentionnées, elles sont juxtaposées, comme une longue énumération, en une seule phrase de dix-neuf vers.
En revanche, on distingue une progression dans l’espace ; l’homme occupe de plus en plus l’espace : en hauteur, dans les deux premiers vers, en largeur, les promenades dans la nature, l’intérieur et l’extérieur, la foule, la tempête, pour finir par se dissoudre dans le néant du dernier vers.
Les références temporelles sont plus diffuses : la démarche générale correspond clairement à la chronologie de la vie ; mais il n’y a pas d’indicateurs de cette évolution.
En revanche, on trouve des mentions des moments de la journée : le matin, tout le jour, et le très sobre « puis » pour finir.
Cette simplicité contribue à donner au poème sa valeur universelle d’éternel recommencement.

II. Un regard critique et rétrospectif

1. La volonté de généralisation

L’énonciation : deux séries de pronoms sont utilisées : le pronom indéfini « on » est employé 22 fois, complété par le pronom réfléchi « se » (3 fois). Par ailleurs, on trouve 3 fois « vous », aux vers 6,10, 15. La surabondance de « on » traduit la valeur universelle de la réflexion de Hugo ; mais complété par les trois « vous », il évoque l’emploi familier de « on », c’est-à-dire un remplacement impropre de « nous ».
Pour qui connaît Hugo, le texte peut passer pour une autobiographie. Le poète décrit donc la vie de l’homme, c’est-à-dire de chacun de nous, lecteurs.
Les références personnelles sont imprécises. Rien ne permet de distinguer cet homme d’un autre : une mère, une fille ; aucun métier précis ; certes, quelques allusions lisibles pour qui connaît Hugo, au décès de Claire Pradier.
Même la formule finale « en revenant du cimetière » a été écourtée ; la première version mentionnée « de Saint-Mandé ». Ainsi la dédicace s’élargit : on revient toujours d’un cimetière.

2. L’absurdité des activités

Si les scènes du début ont le charme de ce qui est saisi sur le vif, l’absence de coordination logique leur ôte tout sens.
Au contraire, ces activités font l’objet de contrastes parfois très forts : « On aime/ on est aimé », traduit l’harmonie dans la réciprocité au début, pour céder la place à l’opposition à la fin : « faible et fort », « petit et grand », « vient et passe », « deuil, fête, arrive, recule ».
On pourrait résumer dans le vers 15 la petitesse de l’homme : « veut/prend » traduit les limites de la volonté humaine devant le « sort », c’est-à-dire la vie.
Les contrastes s’accentuent à la fin dans une structure plus nettement binaire.

3. La formule conclusive

Le dernier vers tombe comme un couperet.
L’absence de verbe, les voyelles ouvertes « a, o, on, en » traduisent la béance de trou que vient de voir le poète au cimetière.
La mort nous coupe dans notre élan, brise une vise dans son activité, comme celle de la jeune fille qu’on vient d’enterrer.

III. La méditation : vanitas vanitatum

1. La mort de l’être aimé renvoie à sa propre mort

Les circonstances éclairent sur la démarche de la méditation, démarche qui est celle de tout être humain : au-delà du chagrin, le deuil invite à une méditation sur la condition humaine.
Par la situation du poème dans le livre IV des Contemplations, Hugo associe les deux jeunes mortes, mais aussi lui-même et toute l’humanité dans ce sort commun : la condition mortelle de l’homme.
Le poème prend alors sa dimension universelle.

2. La mort est une défaite

La suractivité de la vie est brusquement interrompue par le dernier vers.
Il rend dérisoire notre agitation.
Pourtant, le vers 19 insiste sur la lutte, qui est pour Hugo une définition de la vie : ainsi commence un des poèmes des Châtiments, qui précèdent immédiatement la publication des Contemplations : « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent ».
Ne peut-on voir une autre présentation du mythe de Sisyphe par lequel Albert Camus exprimera l’absurdité de la condition humaine ?
Ce vers confère au poème un registre pathétique en concluant sur la défaite de l’homme.

3. La mort est le vide

La mort est le vide spatial et le vide sonore : « vaste, silence ».
Donc absence de communication : on ne peut plus dialoguer.
La phrase nominale nous met en face de ce trou béant.
Par contraste, et rétrospectivement, elle souligne le vide de la vie.
On peut s’étonner de l’absence de références religieuses.
Durant ces années, Hugo a médité, a lu la Bible, et a pu accorder sa révolte devant le mal avec sa foi en Dieu.
Par ailleurs, les lectures mentionnées sont celles des poètes racontant des aventures « métaphysiques » : Virgile et Dante ont tous deux écrit sur la « descente aux Enfers », lieux effrayants, certes, mais peuplés d’hommes et de divinités.
Le néant décrit ici est d’autant plus inquiétant.

Conclusion

Ce poème une donc une véritable méditation, ou plutôt une contemplation.
Devant le mystère de la vie, le poète s’interroge.
La pensée part de l’observation, de la narration pour gagner l’ampleur de la méditation sur le sens de la vie.
Victor Hugo réfléchit sur le sens de sa vie.
Il fait le bilan d’une existence pleine et réussie, d’un homme pris dans le tourbillon des succès, pour conclure brutalement par le silence de la tombe.

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