Albert Camus

Camus, L’Étranger, Incipit

De « Aujourd’hui, maman est morte » jusqu’à « pour n’avoir plus à parler »

Introduction

Albert Camus, écrivain majeur de la première moitié du XX° siècle, a publié en 1942 un roman étrange et polémique, L’Étranger, mettant en scène un narrateur, Meursault, qui fait le récit de sa vie. Cet extrait correspond au début de l’œuvre : Meursault relate la nouvelle de la mort de sa mère et les préparatifs de son départ pour la veillée funèbre et l’enterrement. Nous verrons d’abord en quoi cet incipit est déconcertant pour le lecteur, puis nous analyserons l’attitude assez surprenante du narrateur.

I. Un incipit déconcertant

L’incipit dans un récit a souvent la même fonction qu’une scène d’exposition au théâtre : il s’agit d’informer le lecteur sur :

Le lieu : en Algérie l.4 (le narrateur habite loin de l’hospice où il a placé sa mère). Les autres repères spatiaux donnent des indications sur son cadre de vie : « au restaurant chez Céleste » l.15, « chez Emmanuel » l.18. On a l’impression d’une vie bien réglée.

Le temps : Un repère temporel conforte cette impression de routine : « comme d’habitude » l.15. Les autres marqueurs de temps montrent que le narrateur a du mal à ordonner les événements chronologiquement : le « aujourd’hui » du début est mis en doute par la 2° phrase du récit, reprise partiellement l.3.

L’action : Les premiers mots du texte donnent une information capitale pour la suite du roman puisque Meursault sera condamné pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère.

Les personnages : notamment le personnage principal, narrateur qui dit JE l.1.

Il s’agit d’un incipit « in medias res » (au milieu des choses) car nous commençons par le récit de la mort de la mère du narrateur, mort qui intervient alors que celui-ci est déjà adulte. Néanmoins, ce début est pour le moins étrange pour plusieurs raisons. D’abord cette mort est rapportée d’une manière directe (sujet + verbe + attribut) et indifférente par le narrateur : le style quasiment télégraphique évacue tout registre pathétique. Il semble étranger au monde dans lequel il vit (il s’auto justifie devant son patron, comme s’il était coupable du décès de sa mère l.7-8-9 ; il n’arrive pas à réaliser la mort de celle-ci l.11-12 ; il est introverti et refuse le contact humain l.24-25). D’ailleurs le lecteur ne connaît aucun détail sur son mode de vie ni sur son entourage : l.15 « tous » renvoie aux clients habituels du restaurant. Aucune précision n’est donnée sur Emmanuel, hormis le fait qu’il a subi lui aussi un deuil. Ce qui semble intéresser le narrateur n’est pas les circonstances de ce décès mais la possibilité qui lui est offerte d’emprunter les accessoires du deuil l.18 « une cravate noire » et 19 « un brassard ». Bien que le champ lexical de la mort soit très développé dans les 3 premiers § (« morte » l.1, « décédée » et « enterrement » l.2, « veiller » l.6, « condoléances » l.10, « deuil » l.11, etc.), le narrateur n’exprime aucun sentiment personnel, ce qui peut surprendre voire choquer le lecteur.

II. Un narrateur surprenant

En fait, c’est le personnage principal qui dit JE et nous fait partager sa conscience (point de vue ou focalisation interne qui nous plonge au cœur de la vie du héros). On ne sait pas encore qu’il est différent de l’auteur et s’appelle Meursault (p.11 « madame Meursault est entrée ici… », p.13 « monsieur Meursault »). Cette confusion est accentuée par la quasi simultanéité de la narration et du récit : on dirait que Meursault raconte les événements presque au moment où il les vit. Dans les deux premiers §, on trouve du présent (par exemple l.1 « je ne sais pas »), du passé composé (l1 « j’ai reçu »), de l’imparfait (l.3 « c’était ») et du futur (l.4-5 « je prendrai ») : le récit est chronologique ; le narrateur rapporte sèchement l’ordre des faits. Alors que dans les § 3 et 4, on relève essentiellement du passé composé (l.14 « j’ai pris » et un peu d’imparfait (l.14 « il faisait ») : il s’agit d’une ellipse temporelle (le voyage à Marengo envisagé au futur dans le 2°§ est maintenant passé).

Le début du récit se présente donc comme un journal des faits et gestes du personnage principal. Cette écriture « blanche » (selon Roland Barthes) retranscrit sans jugement possible de l’auteur le cheminement des pensées du narrateur, sans effet de style : ainsi le verbe « dire » est répété quatre fois. Ce choix narratif permet à Camus de nous plonger littéralement dans la conscience du héros, ce qui est signalé par l’omniprésence des marques de la 1° personne (31 occurrences).

Or Cette écriture semble mettre à distance la mort de la mère du narrateur par une accumulation de maladresses d’expression : l.7 il qualifie celle-ci d’ « excuse ». Aux lignes 12-13, l’expression « affaire classée » appartient au vocabulaire administratif, pénal ou policier et manifeste son envie d’en finir rapidement, voire son embêtement. Le seul terme qui pourrait décrire le choc subi par l’annonce de la mort de sa mère, « étourdi » l.17, ne se rapporte pas à la tristesse du narrateur mais la subordonnée de cause l.17-18 signale que cet étourdissement est dû au fait qu’il a monté les escaliers. Pire ! Dans le trajet qui l’emmène à l’asile, il s’endort l.22. La cause de cet assoupissement n’est pas non plus le chagrin mais la fatigue physique l.20-22.

Conclusion

Ce début de récit est surprenant essentiellement car celui qui conduit la narration semble en marge des normes sociales. Au procès, c’est cette marginalité qui lui sera reprochée et non l’acte criminel pour lequel on le jugera : pour être un homme, il faut pleurer à l’enterrement de sa mère.

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