François-René de Chateaubriand

Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Description d’un paysage de St Malo

Texte étudié

Aujourd’hui, le pays conserve des traits de son origine : entrecoupé de fossés boisés, il a de loin l’air d’une forêt et rappelle l’Angleterre : c’était le séjour des fées, et vous allez voir qu’en effet j’y ai rencontré ma sylphide. Des vallons étroits sont arrosés par de petites rivières non navigables. Ces vallons sont séparés par des landes et par des futaies à cépées de houx. Sur les côtes, se succèdent phares, vigies, dolmens, constructions romaines, ruines de châteaux du moyen?âge, clochers de la renaissance : la mer borde le tout. Pline dit de la Bretagne : Péninsule spectatrice de l’Océan.

Entre la mer et la terre s’étendent des campagnes pélagiennes, frontières indécises des deux éléments : l’alouette de champ y vole avec l’alouette marine ; la charrue et la barque à un jet de pierre l’une de l’autre sillonnent la terre et l’eau. Le navigateur et le berger s’empruntent mutuellement leur langue : le matelot dit les vagues moutonnent, le pâtre dit des flottes de moutons. Des sables de diverses couleurs, des bancs variés de coquillages, des varechs, des franges d’une écume argentée, dessinent la lisière blonde ou verte des blés. Je ne sais plus dans quelle île de la Méditerranée, j’ai vu un bas?relief représentant les Néréides attachant des festons au bas de la robe de Cérès.

Mais ce qu’il faut admirer en Bretagne, c’est la lune se levant sur la terre et se couchant sur la mer. Établie par Dieu gouvernante de l’abîme, la lune a ses nuages, ses vapeurs, ses rayons, ses ombres portées comme le soleil ; mais comme lui, elle ne se retire pas solitaire ; un cortège d’étoiles l’accompagne. A mesure que sur mon rivage natal elle descend au bout du ciel, elle accroît son silence qu’elle communique à la mer ; bientôt elle tombe à l’horizon, l’intersecte, ne montre plus que la moitié de son front qui s’assoupit, s’incline et disparaît dans la molle intumescence des vagues. Les astres voisins de leur reine, avant de plonger à sa suite, semblent s’arrêter, suspendus à la cime des flots. La lune n’est pas plus tôt couchée, qu’un souffle venant du large brise l’image des constellations, comme on éteint les flambeaux après une solennité.

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (Livre 1, Chapitre 6)

Introduction

Écrivain français romantique du 19ème siècle, Chateaubriand a été élu à l’Académie Française. Il est né à St Malo, en Normandie, par une nuit de tempête. Dans son enfance, il a été délaissé par ses parents. Entre 16 et 18 ans il se trouve au château avec sa sœur, avec qui il parle beaucoup. En 1781 il part en Amérique pendant 5 mois. Il va vivre avec des indiens et écrit l’Atala. Il rentre en France et se marie. Il écrit Génie du christianisme (paru en 1802) dans lequel il défend le christianisme. Sa sœur Lucile meut en 1806 ce qui provoque chez lui une profonde tristesse. Il démissionne et fait un voyage en France puis en Grèce (au retour : Égypte, Tunisie, Espagne). Il va commencer à écrire ses Mémoires (1807), cesse de paraître en public et se retire à la campagne. Il écrira ses Mémoires pendant 30 ans.

Problématique : relation réalisme / merveilleux.

I. Une Bretagne mystérieuse

1. Médiévale / 2. Magique

Chateaubriand parle de Bretagne, il décrit le paysage. Mise en relation de la terre et de la mer. Référence au paysage mythologique « sylphide fée des bois » (= celte, brocelande, Morgane, merlin). Le paysage a gardé ses traits de l’époque du 12ème siècle, elle a gardé son caractère poétique. Paysage enchanteur, et voyage dans le temps dans l’énumération « ces vallons (…) renaissance », gradation = celtes, romaines, Moyen-Age, renaissance. La mer est éternelle alors que les bâtiments s’effacent avec le temps « la mer (…) Bretagne ». La poésie du texte vient du fait que la Bretagne est devenue vivante, une terre magique, une terre merveilleuse : « En effet (…) sylphide », « Femme aimée qui ne sera jamais trompée » : caractère poétique, ce n’est plus une femme, c’est une sylphide. Chateaubriand personnifie la Bretagne, il lui donne une âme. Il personnifie l’océan en faisant de lui un spectacle vivant. La vision de l’océan est spectaculaire, mais plus encore, c’est la Bretagne qui est animée.

II. Une Bretagne entre terre et mer

1. Picturale / 2. Matelot, berger

Osmose entre la terre et la mer, relation harmonieuse parfaite, il y a une alternance : « frontière indécise des deux éléments », renforce l’idée d’osmose.
Pélagien, intumescence : pourquoi Chateaubriand utilise t-il des mots rares ? Car c’est plus précis, et cela fait travailler l’imaginaire du lecteur. De plus ça a un caractère poétique.
« Le matelot (…) moutons » : 2 métaphores : il y a un parallélisme, un mélange de la langue. « Les vagues moutonnent » : métaphore du matelot ce qui signifie l’ondulation des vagues ; et la couleur blanche, l’écume, qui fait référence à la laine de mouton. « Des flottes de moutons » : langage emprunté par les bergers, ce qui veut dire que c’est un groupe nombreux (troupeau) : idée de déplacement. Leur métaphore se croise. Chacun ne fait que contempler leur élément. Il se regardent l’un l’autre. Donc leur vision de leur élément devient poétique.
Il y a une contemplation mutuelle de la terre et de l’océan, du berger et du matelot. En se regardant l’un l’autre ils changent leur regard sur les choses. Il y a une progression poétique. Par le jeu des regards, on retrouve l’idée d’harmonie, d’osmose. La terre nous fait voir la mer différemment et la mer nous fait voir la terre différemment. « Des sables (…) blé » : énumération, parcours visuel (terre / mer / terre), énumération dans les couleurs ce qui fait penser à une peinture de paysage. »Néréides », « Cérès » : mythologie gréco-latine : évoque la vision de la mer qui vient se jeter au bord des champs de blé, ce qui renforce l’idée de liaison entre la terre et la mer (vision poétique par la mythologie). « Mais ce qu’il (…) la mer » : les marins naissent sur la terre et vont mourir en mer : parallélisme, jeu de sonorités, allitération en [l], assonance en « en » et en « s », rythme avec terre et mer.

III. Une Bretagne quasi religieuse

L’abîme qui fait référence à la religion. « Front » : personnification. Les étoiles sont comparées à des flambeaux qui s’éteignent brusquement après le coucher de la lune. « Solennité » : cérémonie solennelle à laquelle on assiste. Cérémonie quasi religieuse car la lune a été établie par Dieu, c’est un spectacle divin qui s’offre à nous. La voix monte avec la protase et redescend avec l’apodose. Protase jusqu’à « soleil », puis c’est l’apodose avec la descente qui imite le lever et le coucher de lune. On voit dans ce texte un certain nombre d’aspects du romantisme : la sensibilité, l’aspiration à l’infini, la valorisation de l’individuel et l’exaltation du moi, le besoin d’évasion dans le temps et l’espace.

Conclusion

Chateaubriand mêle réalisme et merveilleux à travers sa description d’un paysage de St Malo. Il nous fait voyager à travers le temps.

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