Pierre Corneille

Corneille, L’illusion Comique, Acte IV, Scène I, Le Monologue d’Isabelle

Texte étudié

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE

ISABELLE.
Enfin le terme approche : un jugement inique
Doit abuser demain d’un pouvoir tyrannique,
A son propre assassin immoler mon amant,
Et faire une vengeance au lieu d’un châtiment.
Par un décret injuste autant comme sévère,
Demain doit triompher la haine de mon père,
La faveur du pays, la qualité du mort,
Le malheur d’Isabelle, et la rigueur du sort.
Hélas ! que d’ennemis, et de quelle puissance,
Contre le faible appui que donne l’innocence,
Contre un pauvre inconnu, de qui tout le forfait
Est de m’avoir aimée, et d’être trop parfait !
Oui, Clindor, tes vertus et ton feu légitime,
T’ayant acquis mon cœur, ont fait aussi ton crime.
Mais en vain après toi l’on me laisse le jour ;
Je veux perdre la vie en perdant mon amour :
Prononçant ton arrêt, c’est de moi qu’on dispose ;
Je veux suivre ta mort, puisque j’en suis la cause,
Et le même moment verra par deux trépas
Nos esprits amoureux se rejoindre là-bas.
Ainsi, père inhumain, ta cruauté déçue
De nos saintes ardeurs verra l’heureuse issue ;
Et si ma perte alors fait naître tes douleurs,
Auprès de mon amant je rirai de tes pleurs.
Ce qu’un remords cuisant te coûtera de larmes
D’un si doux entretien augmentera les charmes ;
Ou s’il n’a pas assez de quoi te tourmenter,
Mon ombre chaque jour viendra t’épouvanter,
S’attacher à tes pas dans l’horreur des ténèbres,
Présenter à tes yeux mille images funèbres,
Jeter dans ton esprit un éternel effroi,
Te reprocher ma mort, t’appeler après moi,
Accabler de malheurs ta languissante vie,
Et te réduire au point de me porter envie.
Enfin…

Corneille, L’illusion comique

Introduction

Pierre Corneille (Rouen, 6 juin 1606 – Paris, 1er octobre 1684) est un auteur dramatique français du XVIIème siècle. Ses pièces les plus célèbres sont Le Cid, Cinna, Polyeucte et Horace. La richesse et la diversité de son œuvre reflètent les valeurs et les grandes interrogations de son époque.

Nous sommes dans le second niveau de la première pièce enchâssée, c’est le seul monologue d’Isabelle. Nous sommes après la mort d’Adraste et l’arrestation de Clindor. On a un retour au second niveau, avec une Isabelle extrêmement troublée par la situation dans laquelle se trouve Clindor.

Problématique

Alors que nous nous trouvons au cœur même de l’intrigue amoureuse qui compose le second niveau et relève du genre comique, de quelle manière et pourquoi le monologue d’Isabelle, qui est une déploration au ton tragique, intervient-il ?

I. Une structure au service de la déploration

Vers 981-992 : Isabelle déplore que son père s’acharne sur Clindor qui semble être la victime de tous.

Vers 993 : Apostrophe où elle tutoie son père.

Vers 1007-1016 : Présente du « je » et plaintes sur son propre sort, évocation du suicide (tragique).

1017-1031 : Apostrophe oratoire adressée à son père. Elle évoque le souhait de tourmenter son père après sa mort (thématique de la tragédie).

Vers 1029 reprend le vers 984 : Ainsi la vengeance du père évoquée en début du monologue reprend la vengeance de la fille en fin de monologue.

C’est une structure cyclique qui rapproche le monologue du thème et qui structure la comédie amoureuse (avec le père obstacle qui empêche des jeunes de s’aimer), mais dont le registre est tragique.

II. Une thématique qui relève plus de la tragédie que de la comédie.

Tout d’abord, il s’agit d’amour (champ lexical).

Le thème de l’amour est toujours abordé avec celui de la mort : « amour fatal » : oxymore, fatal ) fatum, funeste qui apporte la mort.

L’amour va avec la mort : renforcé par le parallélisme vers 1012, l’un amène l’autre.

Par le leitmotiv de la mort, le substantif de la mort revient 5 fois : « mortel », « trépas », « fatal », « assassin »/ »assassiner », « ténèbre ».

L’idée de mort indissociable de l’amour revient des vers 1009 à 1012.

Puis avec Isabelle vers 1014, qui réclame sa mort.

L’injustice est omniprésente, elle est en rapport direct avec le fatum de la tragédie (vers 982).

L’allégorie de la justice de thermies, est utilisée en allégorie de l’injustice.

Tout concourt donc à faire de cette scène un monologue tragique rythmé d’ailleurs par les deux interjections : « hélas ».

III. Du point de vue dramaturgique, nous verrons comment il s’inscrit dans la comédie

A. Les spectateurs ont des faits en mémoire qui s’inscrivent dans la comédie

Dans le thème de l’amour au cours même de l’intrigue de l’amour, de la première pièce enchâssée, et la présence de Matamore le prouve.
Ensuite il y a les rappels incessants que fait Isabelle de Géronte.
De plus nous voyons la duplicité amoureuses de Clindor. Il veut Isabelle pour son argent, et Lyse pour sa beauté. Le ton du monologue est tragique mais il s’inscrit dans la comédie.

B. L’encadrement du monologue

Dans la dernière scène de l’acte III, Alcandre annonce de l’amour heureux enfin. La parole d’Isabelle est suspendue, ce qui détourne de la tentation du suicide, et annonce une fin heureuse.
De plus l’interruption de Lyse est faite d’exclamations, elle est comique.
Ce monologue d’Isabelle même si tragique, est donc encadré par des scènes comiques.

Conclusion

C’est une scène très originale dans la pièce car il s’agit du seuil monologue d’Isabelle, avec un accent tragique, mais très bien encadré par la comédie. C’est une scène miroir au monologue de Clindor.

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