Honoré de Balzac

Balzac, Le femme de trente ans, Chapitre 2

Texte étudié

– Obéir à la société ?… reprit la marquise en laissant échapper un geste d’horreur. Hé ! monsieur, tous nos maux viennent de là. Dieu n’a pas fait une seule loi de malheur ; mais en se réunissant les hommes ont faussé son œuvre. Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n’avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. La nature étouffe les êtres faibles, vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. Le mariage, institution sur laquelle s’appuie aujourd’hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs. Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. Enfin l’homme fait un choix là où nous nous soumettons aveuglément. Oh ! monsieur, à vous je puis tout dire. Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances. Mais moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées je dois garder le silence ! moi seule suis l’auteur du mal, j’ai voulu mon mariage.

Elle s’arrêta, versa des pleurs amers et resta silencieuse.

– Dans cette profonde misère, au milieu de cet océan de douleur, reprit-elle, j’avais trouvé quelques sables où je posais les pieds, ou je souffrais à mon aise ; un ouragan a tout emporté. Me voilà seule, sans appui, trop faible contre les orages.

– Nous ne sommes jamais faibles quand Dieu est avec nous, dit le prêtre. D’ailleurs, si vous n’avez pas d’affections à satisfaire ici-bas, n’y avez-vous pas des devoirs à remplir ?

– Toujours des devoirs ! s’écria-t-elle avec une sorte d’impatience. Mais où sont pour moi les sentiments qui nous donnent la force de les accomplir ? Monsieur, rien de rien ou rien pour rien est une des plus justes lois de la nature et morale et physique. Voudriez-vous que ces arbres produisissent leurs feuillages sans la sève qui les fait éclore ? L’âme a sa sève aussi ! Chez moi la sève est tarie dans sa source.

Introduction

« La Femme de trente ans », écrit par Balzac en 1842, nous raconte l’histoire d’une jeune femme, Julie, rêvant du mariage de sa vie avec l’homme qu’elle aime, Victor D’Aiglemont. Mais ce mariage n’est qu’une profonde désillusion, elle est seulement tombée amoureuse de l’image de Victor et celui-ci la déçoit beaucoup. Elle se réfugie alors en Touraine où elle vit cloîtrée. Le curé de St Lange la visite une fois, mais Julie refuse de le voir. Celui-ci revient une seconde fois dans l’espoir d’être enfin accepté et reçu dans les appartements de Julie. Il tente en vain de la raisonner. Nous nous pouvons ici nous demander à quoi tient l’efficacité de la scène dialoguée. Tout d’abord nous pouvons constater que cette scène oppose deux personnes différentes, et que chacune d’elles est coincée dans sa propre logique, pour finir en montrant que cette scène permet à Balzac de faire sa critique de la société.

Partie I

Cette scène oppose deux personnes bien différentes et les répliques sont très vives. Nous pouvons d’ailleurs constater la ponctuation émotive comme « Eh ! » ou encore des réponses vives comme « Oh le monde ! ». De plus le dialogue est vif quand Julie parle, ce qui exprime l’horreur et le rejet de cette société qui la malmène ; les interjections « Oh ! » ou encore « Toujours des devoirs ! » en sont des exemples probants.

Le curé pose beaucoup de questions, il espère sûrement sous forme de maïeutique faire réagir Julie. Avec le rythme ternaire de « Avez-vous » le curé veut faire réagir et condamner Julie en même temps. Il essaie de faire comprendre Julie en utilisant le pronom personnel « nous », ainsi il s’associe en quelque sort avec elle. Mais à la réplique suivante, Julie rejette le « nous ». A chaque question que le curé pose, Julie répond violemment, pour elle « obéir » et « société » sont contre nature pour les femmes. « Nous ne sommes jamais faibles » est une phrase qui montre que le curé veut s’associer avec Julie, il la considère comme sa sœur devant Dieu, mais Julie rejette encore plus violemment ce pronom avec le « je » à la phrase qui suit.

Nous pouvons aussi constater que la répartition des répliques n’est pas égale : Julie parle beaucoup, à chaque question Julie répond dans une longue tirade, à chaque fois c’est un cri du cœur. Il y a aussi beaucoup de didascalies quand Julie s’exprime comme « s’écria-t-elle » ou encore « geste d’horreur ».

Cette scène qui oppose donc ces deux êtres différents leur permet de défendre chacun leur point de vue.

Partie II

Chacun des deux partis argumente donc dans l’espoir de convaincre l’autre. Mais ici Julie ne s’adresse pas au curé mais à l’homme, elle n’appelle pas le curé « mon père », Julie a une éducation a-religieuse. Elle l’appelle « monsieur » sur un ton assez sec. « Non monsieur » est une réplique claire et précise, elle est déterminée et enfermée dans sa logique. elle cherche dans le prêtre l’homme et non le soutien religieux.

A chaque fois que les mots « obéir » et « société » sont prononcés Julie a une réaction violente. Elle prend le parti des femmes, « nous sommes, nous femmes ». Elle met en place une rhétorique redoutablement efficace et un plan judicieux. Elle oppose le « nous » (les femmes) et le « vous » (les hommes et la société). Elle utilise un vocabulaire fort en parlant de la société comme « étouffe », « nous impose », « institution » ou encore « déchire ». Elle expose par là sa thèse qui est que la Nature impose déjà des peines physiques assez lourdes et que la société les fait souffrir encore plus.

Le prêtre quant à lui est enfermé dans sa logique et explique par « Dieu est avec nous » que la seule solution qui est efficace est la religion.

Dans ce débat ce dialogue de sourds où chacun est enfermé dans sa propre logique, Balzac peut faire sa critique de la société.

Partie III

Julie est un être étouffé par la société, c’est un personnage romantique et la métaphore marine appuie bien notre thèse avec « ouragan » ou encore « orage », la nature qui normalement est consolatrice est ici destructrice. Nous pouvons comparer Julie à une fleur fanée par la société, où elle n’a pas pu s’épanouir, elle n’a « plus de sève », qui est « tarie dans sa source ». Julie somatise, la seule solution qui s’offre à elle est l’enfermement dans ses douleurs.

Balzac fait donc une analyse très fine de la psychologie de Julie qui n’a pas pu comme de nombreuses femmes au XIXème siècle (comme la sœur de Balzac par exemple), s’épanouir en société.

Balzac critique enfin le mariage qui est pour lui une « institution » et une « prostitution légale ».

Conclusion

Dans ce passage Balzac nous donne à voir une scène dialoguée vive et argumentative dans laquelle il fait efficacement sa critique de la société. Julie va somatiser de plus en plus et mourir seule, « tuée » par la dureté de cette société qui ne l’a pas accepté. Est-ce qu’une simple description de l’état de Julie aurait aussi bien servi la critique de Balzac ?

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