Jean de La Fontaine : Le Pouvoir des Fables (Livre VIII, 4) : Seconde partie (Commentaire composé)
Texte étudié :
Dans Athène(s) autrefois, peuple vain
et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les coeurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut ;
L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres , commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Céres, que fit-elle ?
- Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »
A ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entière à l'orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
La Fontaine, Fables
Notes :
Le mot fable vient de fabula en latin = récit
à base d'imagination destiné à illustrer un précepte.
Cérès = Déesse des moissons. On célébrait
ses mystères à Eleusis.
Peau d'Âne : La Fontaine parle du « Peau dÂne »
dont parle Louison dans " Le Malade imaginaire (trouvez l'intégrale
de la pièce en suivant ce lien) de Molière. Luvre
de Perrault portant le même titre ne paraîtra quen 1694.
Quelques citations :
- "Une morale nue apporte de l'ennui".
- "Le Conte fait passer le précepte avec lui" (La Fontaine).
- "Mon imitation n'est point un esclavage (La Fontaine).
- "Le Moi est haïssable" (Pascal).
Commentaire Composé 1
Introduction : - La fable est un récit destiné à
démontrer un précepte : un but didactique qui dégage une
morale explicite. Nous allons montrer l'efficacité du récit puis
l'humour du récit et enfin la moralité complexe à travers
cette fable.
I) Efficacité du récit
- Exposition en 3 vers : extrêmement simple. Le lieu et les circonstances
bous sont donnés. L'enjambement dès le début donne un effet
de rapidité.
- Harangues inutiles (vers 3 à 14).
- Transition (vers 15).
- La fable saugrenue mais efficace (vers 16 à 21).
- Un rebondissement inattendu = reproches au peuple grec.
- Réveil de l'assemblée (vers 28 à 31).
- Moralité (vers 32 à 37).
II) Humour du récit
A. Satire de la rhétorique classique
- Le personnage du parleur qualifié : "orateur" ; "harangueur"
= image caricatural. + Le choix du discours indirect qui rend le discours plus
lourd et ennuyeux. + mots abstraits : "il parla... salut".
- Dramatisation de la situation : "courut" ; "menace" ;
"péril" = par le vocabulaire... Par aussi l'alexandrin majoritaire
dans cette partie qui donne des vers pesants, pompants, nobles. + les choix
d'expressions hyperboliques : "tyranniques" ; "forcer le coeurs".
Ces traits donnent de la violence + démonstratif emphatyque : "ces"
+ périphrases ridicules : "têtes frivoles" ; "figures
violentes"...
B. L'étude de la fable enchassée
- Absurde, saugrenue : rencontre très improbables des trois acteurs.
- Situation non palpitante.
- Développement peu passionnant : "anguille en nageant" = symétrie
lourde = lourdeur du texte.
- Côté vivant et plaisant du style direct et des vers courts.
III) Une moralité complexe
A. Les reproches de l'orateur
- Un humour se dégage venant de l'antithèse avec le public.
- Ironie : Veut montrer par cette fable la débilité du peuple.
Met les citoyens au bord du suspens par l'utilisation de "vous".
- Style indirect libre : "Quoi..." : L'orateur fait parler la déesse
à travers lui, ceci donnant un poids et une certaine force sur le peuple.
Pour montrer que le peuple ne tient pas compte du péril qui le menace.
- Style indirect libre dans le discours direct : "Que..." : Interrogation
ironique et pleine de reproches.
- Vers cours : "se donne" ; "un fleuve" ; "entière"
= unanimité = tous les gens. + juxtapositions nerveuses et efficaces.
+ Utilisation du présent de narration.
B. De la moralité à la confidence personnelle
- v32 : "nous" = tout le monde = morale conviviale. mais aussi utilisation
de "moi" = LF vieillard = vieillard vieux et amusé.
- Revendication du plaisir du conte.
- Généralise : Monde vieux (20 siècles d'écart entre
l'histoire comptée et le moment où LF a écrit cette fable)
+ utilisation du mot "enfant" trois fois dans le texte = revendication
du plaisir = prendre les hommes tels qu'ils sont. (cf. Rabelais : "La
substantifique moelle").
Conclusion : Jean de la Fontaine se paie le luxe de compter deux
fables en une et revendique la légitimité de son art.
Commentaire Composé 2
Introduction : - Dans la fable "Le Pouvoir des Fables"
de La Fontaine extraite de son huitième livre, l'auteur nous décrit
un orateur cherchant à se faire écouter par tous les moyens, et
y parvenant finalement à l'aide d'une fable. D'où l'originalité
de ce texte qui intègre deux fables. La Fontaine nous dévoile
donc le pouvoir de ces fables même si un seul est explicité dans
la morale. Il en profite pour dénoncer la race humaine qu'il trouve légère
et puérile.
I) La fable : constituée
d'une multitude de pouvoirs
A. Originalité
- Chutes sur les octosyllabes = donne une fable enjouée.
- Mise en abîme = fable dans la fable.
- Jonglage entre les alexandrins et les octosyllabes = changements de rythmes
avec des cassures.
B. Les pouvoirs de la fable selon l'auteur
- La fable est un jeu : 'amuser" ; "plaisir extrême" ;
répétition 3 fois du mot "enfants" mais un jeu util
et nécessaire à l'homme car : satisfait le besoin de beauté
et de jouissance gratuite des hommes (peuple émerveillé face à
l'apologue conté par l'orateur) + éveil les hommes car rupture
avec la réalité (utopie ; rêve ; domaine de l'imaginaire)
= les fait réfléchir : "Par l'apologue réveillée".
- Pouvoir de la gaieté qui est charmeuse et incisive.
- Philosophie supérieure des fables = sagesse de la gaieté = charme
d'un plaisir lucide.
- L'auteur lui même avoue sa faiblesse : "Peau d'Âne"
= renforce le pouvoir de la fable en général.
Transition : Dans cette fable, La Fontaine nous dévoile
les secrets des fables, mais ne peut s'empêcher de critiquer.
II- Condamne l'étourderie puérile
des humains
A. A travers l'orateur déchaîné
- Rythme haletant pour montrer l'énergie investie par l'orateur : "Il
fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put" (vers 9/10) = détermination
de l'orateur décrit en tant que sauveur.
- Oppositions tyranniques/république + âmes/morts... = montre
qu'une chose ne va pas dans sa manière de s'adresser au peuple.
- Champ lexical de la violence : "fortement" ; "danger"
; "courant" ; "forcer" ; "recourt" ; "violentes"
; exciter" = détermination de l'auteur encore une fois.
B. Une humanité puérile
- Des hommes décrits comme idiots : "têtes frivoles"
(vers 11) ; "peuple vain et léger" (vers 1).
- Hommes attirés par les combats d'enfants / mais point par le discours
sérieux de l'orateur > nécessité d'une fable avec une
histoire pour attirer l'attention du peule = esprit gamin.
- Esprit gamin renforcé par l'interrogation : "Et Cérès,
que fit-elle ?" = à la manière d'un enfant voulant connaître
la suite de l'histoire.
C. Une moralité ambiguë
La Fontaine dénonce t-il vraiment le caractère des humains ou
fait il juste un constat ?
Conclusion : Dans cette fable de La Fontaine, l'auteur met en
avant les différents pouvoirs de la fable. Il en profite pour faire une
remarque sur les comportements de la race humaine. Mais critique t-il les hommes
ou fait-il juste un constat du monde ("Le monde est vieux") ?
Les autres commentaires sur les fables de La Fontaine
- Livre I, 3 : La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf
- Livre I, 5 : Le Loup et le Chien
- Livre I, 7 : La Besace
- Livre I, 11 : L'Homme et son image
- Livre I, 16 : La Mort et le Bûcheron
- Livre I, 22 : Le Chêne et le Roseau
- Livre II, 13 : L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits
- Livre II, 15 : Le Coq et le Renard
- Livre III, 2 : Les Membres et l'Estomac
- Livre III, 4 : Les Grenouilles qui demandent un Roi
- Livre V, 9 : Le Laboureur et ses Enfants
- Livre V, 13 : La Poule aux oeufs d'or
- Livre V, 20 : L'Ours et les deux Compagnons
- Livre VI, 1 : Le Pâtre et le Lion
- Livre VI, 1 et 2 : Le Pâtre et le Lion / Le Lion et le Chasseur
- Livre VI, 13 : Le Villageois et le Serpent
- Livre VII, 2 : Les Animaux malades de la Peste
- Livre VII, 4 : Le Rat qui s'est retiré du monde
- Livre VII, 8 : La Cour du lion
- Livre VII, 10 : Le Coque et la Mouche
- Livre VII, 11 : La Laitière et le Pot au lait
- Livre VII, 12 : Les deux Coqs
- Livre VIII, 1 : La Mort et le Mourant
- Livre VIII, 2 : Le Savetier et le Financier
- Livre VIII, 4 : Le Pouvoir des Fables (I)
- Livre VIII, 4 : Le Pouvoir des Fables (II)
- Livre VIII, 9 : Le Rat et l'Huître
- Livre VIII, 15 : Les obsèques de la Lionne
- Livre IX, 2 : Les deux Pigeons
- Livre IX, 9 : L'Huître et les Plaideurs
- Livre X, 2 : La Tortue et les deux Canards
- Livre IX, 12 : Le Cierge
- Livre XI, 4 : Le Songe d'un habitant du Mogol
- Livre XI, 7 : Le paysan du Danube
- Livre XI, 8 : Le Vieillard et les trois jeunes Hommes
- Livre XII, 20 : Le Philosophe scythe
- Livre XII, 24 : Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire