Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, Le Pâtre et le Lion

Fable étudiée

Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé ;
Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D’une élégance laconique ;
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un Chasseur, l’autre un Pâtre, en sa fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
Des lacs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande.
A ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l’homme ne sait guère, hélas! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô Monarque des Dieux, je t’ai promis un Veau :
Je te promets un boeuf si tu fais qu’il s’écarte.

C’est ainsi que l’a dit le principal auteur :
Passons à son imitateur.

La Fontaine, Fables

Introduction

Les fables ont changé de genre… Au début, elles étaient reprises directement des fabulistes antiques, d’Esope et Phèdre notamment. Le succès du premier recueil en six livres a incité l’auteur à en publier d’autres dix ans plus tard.

1668 : publication du premier recueil de six livres.

Dans cette fable, il y a une réflexion de l’auteur sur ses modèles. Il propose un exemple concret. Il y a une réflexion sur l’éthique d’un genre qui était considéré comme mineur. Ainsi La Fontaine va connaître sa consécration. Il expose une conception du genre. Il y a une référence aux Anciens et deux exemples concrets de rédaction des Anciens.

Il y a deux idées : L’aspect didactique de la fable avec l’idée d’instruire ; et plaire (placere et docere -> instruire et plaire) : cela renvoie à Racine et Boileau. La Fontaine se veut instruire d’une manière souriante. Récit moraliste / aspect plaisant.

Analyse

Dans cette fable, La Fontaine expose les moyens pour atteindre ces objectifs. Il utilise la brièveté pour éviter l’ennui et la dissipation du lecteur.
Exemple : « Esope en moins de mots s’est encore exprimé ».
La fable est laconique, tient en quatre vers.
La Fontaine donne deux exemples : Esope puis lui.

Il y a des similitudes entre les deux fables :

Un personnage spolié.
Le désir de se venger.
Le recours à un tiers (Jupiter ou un berger).
Découverte du coupable : Le lion.
La peur qui fait que le personnage se ravise et demande le contraire de ce qu’il a souhaité.

Les textes diffèrent par la métrique :

La Fontaine utilise majoritairement l’alexandrin.
Un décasyllabe pour Esope.
? La fable est plus courte. Effet de brièveté, plus nette. Même nombre de vers.
Style du dialogue.

Chez Esope, il y a des effets rhétoriques, des exclamations, des invocations.
Chez La Fontaine, il n’y a pas d’effets, le dialogue est à dominance informative.
La première montre l’inconséquence du Pâtre : il fait deux demandes contradictoires.
Dans la seconde, c’est un fanfaron (il est contradictoire).
La première fable crée un effet de surprise. On ne sait pas que le voleur est un lion. Dans la deuxième, on le sait.
Le caractère du fanfaron est à prévoir. La morale n’est pas la même.
Dans la première, c’est de l’imprévoyance. Dans la seconde, c’est de la lâcheté.

Conclusion

Les modifications tiennent à l’enrichissement des situations de la fable. Gonflement du dialogue. Aspect plus vivant, plus accompli. Modification par rapport à la morale : chez Esope, la solution est pire que le mal. Chez La Fontaine, il n’y a pas les mêmes valeurs qu’à l’époque.

Cela renvoie à la notion d’imitation. Pour La Fontaine, il s’agit de l’époque du classicisme. L’imitation est acceptée comme création littéraire (imitation des Anciens…). Les Anciens constituent un modèle qu’il convient d’imiter comme la Nature.

Par exemple, La Bruyère peint la nature humaine dans Les Caractères.

La Fontaine n’imite pas que les Anciens, il ne s’inspire pas uniquement des œuvres et des thèmes. Il écrit en plus en reproduisant la manière des deux fabulistes (Bakrias et Esope). Leur concision est inégale. Il est écrit « à la manière de », c’est un pastiche. Même s’il y a de la rhétorique et de la versification.

Du même auteur La Fontaine, Fables, La poule aux œufs d'or La Fontaine, Fables, Le Rat et l'Huître La Fontaine, Fables, Les Membres et l'Estomac La Fontaine, Fables, La Cour du Lion La Fontaine, Fables, L'homme et son image La Fontaine, Fables, La Mort et le Mourant La Fontaine, Fables, La laitière et le pot au lait La Fontaine, Fables, Le Songe d'un habitant du Mogol La Fontaine, Fables, Le Chêne et le Roseau La Fontaine, Fables, Les deux Pigeons

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