François-René de Chateaubriand

Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, La Grive de Montboissier, Commentaire 4

Texte étudié

Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d’automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d’un fourré, je m’arrêtai pou regarder le soleil ; il s’enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d’Alluye, d’où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.

Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. A l’instant, ce son magique fit repaître à mes yeux le domaine paternel ; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin et transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. Quand je l’écoutais alors, j’étais triste de même qu’aujourd’hui mais cette première tristesse était celle qui naît d’un désir vague de bonheur, lorsqu’on est sans expérience ; la tristesse que j’éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg m’entretenait d’une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n’ai plus rien à apprendre, j’ai marché plus vite qu’un autre, et j’ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m’entraînent ; je n’ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires ; Dans combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d’instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore ; le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientôt disparaître.

Introduction

L’extrait que nous allons étudier s’intitule « Le gazouillement d’une grive », il est tiré des « Mémoires d’outre-tombe ». Chateaubriand est un aristocrate, il a traversé la révolution, l’empire, la restauration. Il commence à écrire ses mémoires vers 1809 pendant ses quarante dernières années. Cet ouvrage est à la fois un mémoire puisque l’auteur se présente comme le témoin privilégié de son temps et une œuvre autobiographique car l’écrivain présente depuis son enfance, la formation de sa personnalité. Il avait lui-même évoqué qu’il ne souhaitait pas déclarer les votes négatives de sa vie, il n’en voyait pas l’intérêt. Dans le but d’étudier ce passage, nous verrons dans un premier temps, le concept de temps dans l’extrait, en second lieu, nous analyserons l’importance de la réminiscence puis, en dernier point, nous verrons en quoi l’autobiographie est un remède à l’angoisse du temps qui passe vis-à-vis de la mort qui approche.

I. La fuite du temps

La scène se passe en 1817 à Montboissier. Chateaubriand a près de 50 ans et fait référence à des faits passés qui vont illustrer le sentiment de la fuite du temps. La tour d’Alluye a abrité les amours d’Henry IV et de Gabrielle 200 ans auparavant. Cette tour est en ruine mais toujours là et elle survivra aussi à l’auteur. Cela ouvre la perspective d’une réflexion sur la différence entre les hommes et ce qui reste et lui survit, l’homme au contraire disparaît. Concernant l’enfance à Combourg, le chant de la grive lui fait comprendre que ses sentiments de tristesse sont les mêmes et que la vie ne lui a finalement pas apporté ce qu’il voulait. La référence à la perte de sa place de ministre lui fait comprendre que rien n’est jamais acquis. L’imparfait et le passé composé, sont utilisés pour raconter son passé par opposition au présent d’énonciation, « les formes changeantes de ma vie sont ainsi… il m’est arrivé que, dans mes instants de prospérité, j’ai eu à parler de mes temps de misère ».

La réflexion sur le temps qui passe amène l’auteur à revenir sur des périodes révolues de sa vie, c’est pourquoi, nous allons analyser l’importance de la réminiscence dans tout l’extrait.

II. La réminiscence

Elle ne se commande pas, c’est un phénomène de mémoire involontaire, une restitution de souvenirs lors de la perception sensorielle d’un fait identique à un autre fait passé, ici en l’occurrence, la grive contribue à éveiller des souvenirs, des réminiscences. L’ouïe est sollicitée par l’oiseau, l’audition provoque la réminiscence. Chateaubriand emploie une périphrase qui la traduit, « ce son magique » pour dire le chant qui fait renaître les sentiments oubliés, passé, « transporté subtilement dans le passé ». La réminiscence est donc supérieure aux souvenirs volontaires puisqu’elle donne la sensation de revivre le passé et de se retrouver le même quarante ans plus tard. Cependant ce qui revient n’est autre qu’un sentiment de tristesse que l’écrivain a déjà ressenti à l’époque où son désir de bonheur était insatisfait. Nous pouvons mettre en avant la tristesse de Montboisier due à la connaissance plus approfondie de la vie et au désenchantement de l’adulte. L’auteur n’attend plus rien de l’existence et ce sentiment est courant, mal du siècle. Il souhaite malgré tout dépassé ce constat si sombre d’une vie qui se termine, ce qui le pousse à écrire.

Au-delà de toutes les prises de conscience relatives aux déceptions et aux échecs, l’écrivain tente par l’intermédiaire de l’écriture de remédier à toutes les formes de son désenchantement et à ses angoisses existentielles.

III. Mémoires au sens de remède au désabusement et à l’angoisse

L’auteur tente de dépasser son pessimisme qui marque la fin de sa vie. Au contraire ses expériences vont l’inciter à écrire se mémoires afin de faire revivre ses instants de bonheur. Il leur donne ainsi une immortalité littéraire. Finalement, le chant de la grive est une expérience heureuse malgré tout puisqu’il fait renaître le passé par morceaux, cela va devenir la matière même du livre. L’écriture au sens d’écriture autobiographique lui permet de canaliser ses angoisses et devient une solution aux problèmes existentiels divers. Son désenchantement se voit de la sorte surmonté par le désir d’achever ses mémoires avant sa mort ce qui lui donne un but, ainsi que le suggère la métaphore filée finale, « hâtons-nous… disparaître ».

Conclusion

Cet extrait nous permet de comprendre qu’il écrit pour conjurer l’angoisse de la mort dans une période de douleur morale. Il ne perd pas de vue son objectif principal qui est de triompher de la mort grâce à la gloire littéraire qui lui donnera une éternité. Nous touchons à ce stade de la réflexion aux fonctions possibles de l’écriture, elle a en effet, une fonction libératrice, cathartique au sens fort du terme. L’écriture autobiographique libère des maux par les mots.

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