Arthur Rimbaud

Rimbaud, Poésies, Roman

Poème étudié

I

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

II

– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

III

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

– Ce soir-là,… – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Introduction

En 1870, Rimbaud a 16 ans, c’est un jeune adolescent fugueur. En octobre, il fait une seconde fugue en pleine guerre entre la France et la Prusse qui commence en juillet 1870. C’est une période d’errance et de révolte contre l’ordre établi.

Le texte que nous allons étudier s’intitule Roman écrit en 1870. Rimbaud évoque dans ce poème l’univers d’un adolescent en révolte contre la société. Il dénonce les injustices, la fausse dévotion, la cruauté de la guerre. Mais il exprime aussi l’intensité des premières impressions amoureuses et l’émoi d’un premier rendez-vous.

Afin de répondre à la problématique « quelle est la place de ce poème dans l’itinéraire de Rimbaud ? », nous verrons dans un premier temps l’originalité de la forme, puis l’univers adolescent et enfin, un témoignage amusé.

I. L’originalité de la forme

1. Le rôle du titre

Rimbaud entre dans l’originalité poétique tout d’abord à travers le rôle du titre « Roman ».

Roman est une composition romanesque en chapitres. On peut reprendre la définition d’un roman qui est une histoire fictive et une chronologie d’actions pour dire que le poème prend en compte les caractéristiques. En effet, il est rythmé entre actions et chronologies et séparé en quatre parties en deux quatrains. La première partie donnerait pour titre, le cadre d’une promenade estivale, la seconde, le désir d’aimer à travers la nature, la troisième, la rencontre avec la jeune fille, la quatrième, les transports. C’est donc en rythme circulaire que s’établit Roman. Le rôle du refrain est donc un point commun entre la première et la dernière strophe. Le poème se fait en chronologie avec le désir d’aimer d’amour, la rencontre et notamment le coup de foudre au vers 19 « Passe une demoiselle aux petits airs charmants ».

2. L’originalité de la forme

L’originalité de l’énonciation se fait quand à elle avec les reprises systématiques des « On » aux vers 1 et 31 « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. » ; « Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade. » et aux vers 4 et 9 « – On va sous les tilleuls verts de la promenade. » ; « – Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon ».

Les pronoms détiennent une place primordiale dans le poème. On peut constater les nombreuses allitérations des pronoms « vous » aux vers 24, 25 et 26 :

« Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût »

Qui correspondent au destinataire, ou à un lecteur qui aurait 17 ans comme Rimbaud à l’époque où il a conçu ce poème.

C’est donc une forme originale transmise par les émotions du poète qui se présente sous l’aspect de chapitre où l’on constate de nombreuses formes d’originalité comme par le néologisme au vers 17 « Le cœur fou Robinsonne à travers les romans, » allusion au roman de Robinson Crusoé, récit d’aventures et d’escapades sur une terre inconnue.

A travers cette originalité, Rimbaud nous montre l’univers de l’adolescence.

II. L’univers adolescent

1. L’importance des sensations

L’univers adolescent nous est ici présenté. L’importance des sensations y est sollicitée ainsi que les 5 sens notamment par :

– La vue aux vers 9, 10,11

« – Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond »

– Auditive aux vers 3,7

« Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! » ; « Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin »

– Olfactive aux vers 5, 6, 8, 12

« Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! » ; « L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ; » ; « A des parfums de vigne et des parfums de bière…. » ; « Avec de doux frissons, petite et toute blanche… »

– Le goût au vers 14

« La sève est du champagne et vous monte à la tête… »

– Au toucher aux vers 15, 16

« On divague ; on se sent aux lèvres un baiser » ; « Qui palpite là, comme une petite bête… »

Tous ces sens participent à une euphorie c’est-à-dire à une exaltation des sensations agréables associées à la nature.

2. Le rôle de l’imagination

L’univers adolescent se traduit également par le rôle de l’imagination qui apparaît en deuxième partie du vers 9 à 17.

Des vers 9 à 12 Rimbaud nous fait une féminisation de la nature :

« – Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche… »

La sensualité est évidente des vers 11 et 12, il utilise la douceur de ses sentiments. Des vers 15 à 16, « On divague ; on se sent aux lèvres un baiser » ; « Qui palpite là, comme une petite bête… », le thème de l’ivresse est abordé, on découvre le désir d’amour, le désir d’aimer du poète qui cherche à nous prouver qu’il a besoin de se sentir aimé à tout prix. C’est un désir réel mais qui reste avant tout l’objet de l’imaginaire, le pur fruit de son imagination.

Nous avons donc la référence au roman qui se fait par le cœur fou exalté du poète, il utilise le rôle de l’imagination afin de nous montrer son désir d’adolescent, la réalité d’un imaginaire. Nous pouvons constater le néologisme du vers 17 déjà cité précédemment « Le cœur fou Robinsonne à travers les romans, » qui se place à l’hémistiche.

3. La rencontre amoureuse

Rimbaud, à travers Roman, nous raconte son histoire amoureuse imaginaire. On constate tout d’abord au vers 18 « Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère, » que ce vers marque une rupture, un tiret, un moment présent et unique. Nous avons également le rejet du coup de foudre au vers 24 « – Sur vos lèvres alors meurent les cavatines… » qui se fait par le mot « meurent » qui signifie pour Rimbaud, le manque d’assurance et la dévalorisation. L’importance des points de suspensions suppose un coup de foudre. L’anaphore au vers 29, nous montre l’exaltation du poète « – Ce soir-là,… – vous rentrez aux cafés éclatants, », le poème suit toujours une chronologie, on le remarque au vers 28 avec « puis» « – Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !… ».

L’univers adolescent se résume ainsi par l’amour, la découverte d’un amour inconnu aux yeux de Rimbaud mais ceci en tire d’un témoignage amusé.

III. Un Témoignage amusé

1. Témoignage indirect

C’est un témoignage indirect qui s’offre à nous. Nous constatons aux vers 25 et 26 une succession du pronom « vous » qui démontre la marque du destinataire « Vous êtes amoureux. Louez jusqu’au mois d’août. » ; « Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire. », le poète s’interpelle par le pronom « on » présent dans toute la longueur du texte.

2. Registre lyrique

Rimbaud fait appel à ses sentiments personnels tout au long du poème. Ses sentiments sont en outre une association à la beauté. L’importance des sensations est ici menée ainsi que celle des sentiments au vers 26 « Tout en faisant trotter ses petites bottines ». Il donne de l’importance à l’imaginaire afin de montrer l’intensité de ses sentiments. Son enthousiasme est ainsi marqué par la ponctuation que nous pouvons citer au vers 13 notamment ainsi que l’effet rythmique de ce vers sur les temps 3-3 « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser ». Au vers 5, nous pourrions de même constater la répétition de l’adverbe et de l’adjectif épithète « bon » « Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! ». L’enjambement participe de même au lyrisme du poème, il y a un rythme rapide aux vers 9 et 10 « – Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon » ; « D’azur sombre, encadré d’une petite branche, » et aux vers 15 et 16 « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser. » ; « La sève est du champagne et vous monte à la tête… ». Par conséquent il y a un rythme d’entraînement.

3. Registre ironique

L’apparition brutale de la jeune fille au vers 18 « Passe une demoiselle aux petits airs charmants » fait sa forme d’ironie. Il y a un jeu d’oppositions. Rimbaud se trouve ici dans un milieu bourgeois. C’est une ironie constante, il égratigne les romantiques avec leur cadre grandiose, les lacs propices aux épanchements amoureux. Ici tout est simple et agréable et l’amour se résume à un baiser, pas de descriptions pompeuses mais seulement des points de suspension dans lesquels chacun peut imaginer la suite. La phrase est nominale au vers 25 « Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août. », il y a une hyperbole aux vers 28 « – Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !… ». Au vers 27, nous avons une distanciation ironique à l’égard du poète « Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût », Rimbaud se sent seul.

Conclusion

Dans ce poème Rimbaud évoque vers la fin de l’été, une aventure amoureuse en cours. Toutefois le « vous » utilisé rend ce roman applicable à tout lecteur. Ce n’est donc pas un poème de la rencontre unique, mais une sorte de « diagnostic » porté sur les rêves d’amour à 17 ans. Il se moque de lui-même, c’est une distanciation, il vit pleinement ses 17 ans. Il fait un choix de la forme originale inhabituelle du poème, il utilise la ponctuation à de nombreuses reprises.

On peut faire un rapprochement avec Le Dormeur du Val qui a de même été écrit la même année, il y a un désir d’originalité par la forme, il fait preuve d’une grande maîtrise poétique alors qu’il n’a que 16 ans.

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