Jean-Jacques Rousseau

Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité entre les Hommes, le premier qui […] de l’état de nature

Texte étudié

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature.

Introduction

Dans la deuxième partie du « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes », Rousseau va tenter de reconstituer la genèse de ce qu’il appelle la société civile, et va montrer que l’apparition de la propriété marque le dernier stade de l’état de nature.

La propriété et la société civile ont entraîné la corruption, des conflits, et Rousseau va essayer de comprendre comment on a pu en arriver là. La structure de son texte correspond à cette démarche. Le texte est en deux parties : de la ligne 1 à la ligne 7, on a une illustration, un cas concret, c’est-à-dire le geste du premier propriétaire et les conséquences générales de son acte. Dans la deuxième partie, qui va de la ligne 8 à 14, il y a une réflexion plutôt théorique où il va analyser le processus de naissance de cette propriété et l’évolution des mentalités.

I. Rousseau et sa reconstitution de l’Histoire

A. Un travail d’historien

Rousseau revient aux origines de l’Histoire de la société, cf. le titre du discours : « Discours sur l’origine… ». C’est complété par le début du texte, ligne 1 « Le premier qui », qui va avec la ligne 2, « le fondateur ». Et Rousseau va jusqu’à l’aboutissement, ligne 14 avec « le dernier terme de l’état de nature ». Il y a une antithèse entre « premier » et « dernier » qui renvoi bien au rôle d’un historien qui est de retracer depuis l’origine la situation d’une population jusqu’au moment présent. Il essaie d’avoir une vision panoramique. Le texte a comme une structure circulaire. Il nous raconte des faits, des événements notamment à la ligne 3 avec « guerres » et « meurtres ».

B. Un texte subjectif (opinion de Rousseau)

La première moitié du texte comporte beaucoup de termes subjectifs ce qui contraste avec l’objectif de base de Rousseau : faire un travail d’historien. Ce vocabulaire subjectif est très critique. A propos du 1er propriétaire, il y a : « s’avisa de dire » ? synonyme de : oser, avoir l’audace de, l’impudence, la prétention de,… A propos des spectateurs de la scène, il y a : « des gens assez simples »? ce qui signifie naïfs, c’est un adjectif révélateur. Il donne également son opinion à travers la mise en garde dans le discours direct : « imposteur » (ligne 6) ce qui signifie usurpateur, voleur (quelqu’un qui fait quelque chose qui n’est pas autorisé) ; « perdus » (même ligne) qui a une nuance morale (o va perdre ses principes, valeurs). De plus, il y a une succession de termes péjoratifs : « crimes », « guerres », « horreur », qui montrent la réaction de l’auteur et ils sont utilisés en gradation pour accentuer cette réaction. A travers la prudence des explications du début du 2e paragraphe « il y a grande apparence que », on remarque une part d’incertitude, ce qui est opposé à l’attitude d’un historien.

C. Un aspect anecdotique (une illustration)

Rousseau utilise une méthode illustrative pour frapper l’imagination du lecteur, la méthode pédagogique. Il y a tout un réseau lexical d’actions concrètes : « arrachant les pieux » ligne 5, « comblant le fossé » à ma même ligne => ce sont des gestes concrets. Aussi, il y a du discours direct : « Ceci est à moi », qui donne un côté plus vivant à la scène, et un côté plus bref donc percutant. Le discours direct entre guillemets avec l’interpellation directe « gardez-vous » va bousculer, ébranler plus le lecteur que des paroles théoriques. C’est une méthode un peu schématique. Rousseau va évoquer un geste, une parole, pour évoquer la naissance d’un processus : cela va rendre plus accessible les explications théoriques qui viennent juste après.

II. La notion de propriété et la naissance de la société civile

A. La genèse (conditions de cette naissance)

La société civile nécessite deux conditions principales : – La 1ère, c’est la présence d’un individu, cf. ligne 1 « ceci est à moi », qui est lié à l’idée de possession ; c’est une formule catégorique. – Et la 2e condition, c’est l’acceptation de la masse, du peuple ? « trouva des gens assez simples ». Cela suggère que les mentalités étaient prêtes à ce type de société individualiste. Rousseau va largement développer cette 2ème condition dans la seconde partie du texte. Il insiste beaucoup sur l’idée d’une évolution progressive des mentalités qui va aboutir à ce type de société. Il y a un vocabulaire très abondant sur cette notion d’évolution : exemple « dépendant » ligne 10, « successivement », « pas tout d’un coup » ligne 11, « d’âge en âge » ligne 13. Chacun de ces mots insiste sur la germination des idées dans la tête des gens. Ainsi, le mot « progrès » ligne 12 marque bien tout cela, car il a un sens d’évolution. De plus, on constate une longueur et une lourdeur presque volontaire de la dernière phrase (de la ligne 8 à la fin), un certain nombre de subordinations : « avant que » à la ligne 13, « dépendant de » à la ligne 10 qui est une participiale, et à la ligne 10 se glisse une relative « qui n’ont pu naître ».

B. Les conséquences de cette propriété

Il y a des conséquences présentées très négativement surtout dans la deuxième phrase avec « que de crimes ». Cette phrase comporte une longue énumération de termes péjoratifs dont certains sont utilisés sous la forme d’une gradation : « misère », « horreur ». Ces conséquences mettent en valeur le négatif au plan individuel et collectif : « crimes », « meurtres », « guerres » qui impliquent des populations entières. Tous ces mots sont au pluriel. Le tout est renforcé par l’expression « que de », qui insiste sur la quantité. On voit bien qu’il ne s’agit plus du tout du discours d’un historien, mais du discours passionné de quelqu’un qui défend une thèse personnelle, qui s’oppose à une société de type individualiste (idées reprises par les révolutionnaires et les utopistes du 19ème siècle).

Conclusion

Rousseau se présente comme celui qui dans le texte aurait dû être là pour avertir, informer. Il le fait a postiori, mais il pense que cela peut être utile.

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