Guillaume Apollinaire

Apollinaire, Œuvres Poétiques, Poème à Yvonne

Poème étudié

Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine
Mince comme une abeille ô fée apparaissant
Parfois à la fenêtre et quelquefois glissant
Serpentine onduleuse à damner ô voisine
Et pourtant sœur des fleurs ô grappe de glycine

En robe verte vous rappelez Mélusine
Et vous marchez à Petits Pas comme dansant
Et quand vous êtes en robe bleu-pâlissant
Vous semblez Notre-Dame des fleurs ô voisine
Madone dont la bouche est une capucine

Sinueuse comme une chaîne de monts bleus
Et lointains délicate et longue comme un ange
Fille d’enchantements mirage fabuleux
Une fée autrefois s’appelait Mélusine
Ô songe de mensonge avril miraculeux

Tremblante et sautillante ô vous l’oiselle étrange
Vos cheveux feuilles mortes après la vendange
Madone d’automne et des printemps fabuleux
Une fée autrefois s’appelait Mélusine
Êtes-vous Mélusine ô fée ô ma voisine

Apollinaire, Œuvres poétiques, 1903.

Introduction

Poète du tout début du XX ème siècle, Guillaume Apollinaire est marqué à la fois par les idées du courant symboliste de ses prédécesseurs (Verlaine, Mallarmé) ou par celles du courant surréaliste qui va dominer le début du XX ème siècle. Il est aussi un poète novateur comme le révèle son recueil Calligrammes qui contient des textes dont la disposition graphique forme un dessin.

Ce « Poème à Yvonne » est issu des Œuvres poétiques publiées en 1903, présente donc ce caractère ambivalent. : il est tout emprunt de la légèreté de la négligence rythmique propre aux symbolistes mais aussi de l’attrait face au courant surréaliste.

Si cette ode de quatre quintils en alexandrins traite un thème très ancien, développé à la Renaissance avec Du Bellay et Ronsard – la vision d’une femme aimée -, Apollinaire le traite d’une façon ambivalente.

Il nous trace d’une part le portrait de sa « voisine », mais donne également à son poème une dimension lyrique qui va dévoiler au lecteur ses ambitions profondes.

I. Un hommage amoureux

1. Familiarité

Le poète exprime sa proximité avec sa « voisine » (mot clé puisqu’il est placé quatre fois à la rime v.1, 4, 9,20)

Le présent employé dans le poème montre que le poème repose sur un fait réel, répétitif.

Le poète dialogue avec cette femme, il s’adresse à elle dans le poème à travers l’emploie du pronom personnel « vous ».

Cette idylle a duré un certain temps : le poète emploie différents temps, évoque différentes saisons (printemps, automne) et a recours aux déictiques « parfois », « quelquefois ».

2. Beauté évoquée de façon implicite

La particularité de ce poème, c’est qu’il ne propose pas de portrait détaillé de la femme aimée.

Le poète se contente d’évoquer la silhouette de cette femme.

Il insiste sur sa grâce à travers :

– des comparaisons : « Sinueuse comme une chaîne de monts bleus
Et lointains délicate et longue comme un ange »

– des métaphores : « quelquefois glissant Serpentine onduleuse »

– des adjectifs imagés : « onduleuse », « sinueuse » « sautillante »

Le poème suit une progression qui va de l’allure générale au visage : la « bouche » et la « chevelure ».

·On peut aussi noter l’importance des couleurs : il mentionne une « robe verte » ou « bleu pâlissant ». On doit deviner d’autres couleurs comme le rouge orangé de la capucine ou les cheveux aux tons bruns (« feuilles mortes »). Il ne faut pas oublier que Guillaume Apollinaire fréquentait les peintres.

II. Une femme mystérieuse et inaccessible

1. Identité

Cette femme est mystérieuse, son identité n’est pas établie comme le montrent les vers qui ouvrent et ferment le poème :

– « Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine » (v.1)

– « Êtes-vous Mélusine ô fée ô ma voisine « (v.20)

Elle est aussi inaccessible car elle ne fait que des apparitions fugitives, elle semble évanescente car le montrent :

– l’emploi des adverbes « parfois », « quelquefois »

– la métaphore du vers 13 « mirage fabuleux »

– l’apostrophe récurrente « Ô fée »

– le rejet de l’adjectif « lointains » au vers 12.

2. Étrange de cette femme

Son étrangeté se manifeste à travers le réseau lexical « étrange », « fabuleux » sont mis en évidence et placés à la rime.

Elle se manifeste aussi à travers la répétition phonique « Ô songe de mensonge » (v.15)

Elle semble indéfinissable car le poète se plaît à la comparer à des éléments très différents :

– « Mince comme une abeille » (v.1)

– « Sinueuse comme une chaîne de monts bleus » (v.11)

L’impression de flou, d’évanescence, provient aussi de l’absence de ponctuation et de la syntaxe.

III. Une femme ambivalente

1. Sorcière et fée

Le poète voit en cette femme un être double.

Elle est Mélusine (v.6) , femme serpent (« serpentine onduleuse ») , dont la robe verte ressemble à la peau d’un serpent. Elle est le symbole du mal, de la tentation.

2. La Madone

Mais elle est aussi idéalisée.

Certains détails descriptifs font d’elle une sorte de Madone, de Sainte Vierge.

Le « bleu » de sa robe, le mot « ange » placé à la rime. Ces détails font référence au culte de la Vierge dans la religion catholique.

3. Une déesse païenne

Mais, par le biais de la comparaison du vers 9 (« vous semblez ») , le poète fait aussi d’elle une sorte de déesse païenne puisqu’il la qualifie de « Notre Dame des fleurs »

Ainsi divinisée, Yvonne est une sorte de réincarnation d’une divinité païenne.

Conclusion

Il s’agit donc d’un poème d’amour, lyrique, d’un hymne à la beauté féminine. Apollinaire va donc au-delà du portrait de cette femme : ce n’est qu’un prétexte pour dévoiler ce qu’il attend de l’amour : un sentiment qui dépasse tous les autres et qu’on ne peut contrôler, une force surnaturelle, divine.

Ce poème marque donc bien l’évolution entre le lyrisme de Verlaine (ironique, désespéré comme dans « Colloque sentimental » du recueil Les Fêtes galantes) et le lyrisme d’Apollinaire et des surréalistes qui attendent, au-delà du réel, une force qui pourra les inspirer.

Apollinaire est à mi-chemin entre Baudelaire et Eluard : il annonce le surréalisme par les images, métaphores qui lient cette femme mystérieuse à la nature.

C’est pourquoi on peut rapprocher ce texte du poème « Ma femme » de Paul Eluard.

 

Du même auteur Apollinaire, Alcools, Le Pont Mirabeau Apollinaire, Alcools, La Loreley Apollinaire, Calligrammes, Il pleut Apollinaire, Alcools, Nuit Rhénane Apollinaire, Alcools, Automne Apollinaire, Poème à Lou, La Guerre, L'amour Apollinaire, Alcools, Résumé Apollinaire, Alcools, Les Colchiques Apollinaire, Alcools, Rosemonde Apollinaire, Alcools, Salomé

Tags

Commentaires

0 commentaires à “Apollinaire, Alcools, Salomé”

Commenter cet article