Guillaume Apollinaire

Apollinaire, Alcools, Rosemonde

Poème étudié

Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j’avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j’ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m’en allai
Pour quêter la Rose du Monde

Apollinaire, Alcools (1913)

Introduction

Guillaume Apollinaire est un poète né à Rome le 26 Août 1880 et mort le 9 Novembre 1918.
Guillaume s’inspire des mythes antiques et légendes en 1890. Il démontre toute l’étendue de son génie et de son savoir poétique, en passant par la virtuosité de la versification (« La chanson du mal aimé ») à un vers libre qui annonce les aventures du mouvement surréaliste (« La maison des morts »).
Le poème « Rosemonde » appartient au recueil Alcools publié en 1913. Il s’agit d’un poème à forme fixe, à rimes croisées, composé de 3 strophes de 5 vers chacun, et sans ponctuation ce qui est une marque de modernité d’écriture, fluidifiant ce poème dédicacé à André Derain, qui est un peintre français ami du poète.
Comment Apollinaire mêle-t-il dans ce texte la tradition et la modernité ?

I. Une banale aventure amoureuse

1. Un récit anecdotique

Le récit signifié se réduit en effet à une femme entrevue dans la ville. Cette rencontre n’aura pas de suite, d’ailleurs rien n’indique que la passante se soit aperçue de la présence du poète.
La femme n’est décrite que par sa « bouche fleurie », pour répondre peut-être aux baisers.
Les indices temporels « longtemps » v1 et « deux bonnes heures » v 4-5, montrent ici la patience de l’auteur. Ainsi le désir de l’auteur l’emporte sur son impatience, ce qui renvoie encore à l’amour. Le v10 « un jour, pendant plus de deux heures », est une hyperbole, qui déstabilise par son imprécision.
Le cadre de la cité assez simple : « la maison », « le canal », « le quai ». Les repères.spatiaux « le perron de la maison »v1 et « le canal » v6, sont assez imprécis eux aussi, et donnent une impression déambulation du poète dans une rue, dans l’obsession de ces pensées. Nous pouvons donc dire que les indices spatio-temporels sont présents, mais très imprécis

2. La légèreté et la mélancolie du ton

Le poème se caractérise par sa fantaisie. On peut signaler une certaine légèreté dans le ton : « mes doigts jetèrent des baisers ».
Relevons aussi un jeu sur les mots, à la fin du texte. Rosemonde est la Rose du Monde.
Mais le texte se caractérise aussi par sa mélancolie : l’entrevue n’aura pas de suite. Le terme « quêter » et rythme assez lent « lentement », « longuement » renforcent cette impression de mélancolie.

3. Le comportement du poète

Tout d’abord nous pouvons remarquer le comportement juvénile et amoureux du poète. En effet, v3-4, Apollinaire se découvre comme un jeune amoureux, suivant sa bien-aimée à distance, n’osant se découvrir, et atteint d’une certaine obsession pour cette femme.

Le vers 5 continue à mettre l’auteur dans cette même impression, parce qu’en effet le narrateur, ses doigts jetant des baisers, montre qu’i lest amoureux mais n’ose pas des découvrir, et reste caché, terré, sans agir vraiment, et « jette » (v5) des « baisers » à sa bien aimée par désespoir, par amours qu’il pense ne pas être réciproque, mais qu’il s’imagine partagé.

Cela se confirme au vers suivant, « mais la canal était désert »(v6), qui montre que l’auteur est dans une rêverie fantastique, où il partage son amour, ce qui se retrouve aussi dans le verbe « retrouver » v8 qui donne une valeur d’intimité à la phrase, cela montre qu’il n’a pas beaucoup d’expérience, qu’il vit dans ses rêveries amoureuse, et dons parait assez jeune au lecteur.

II. L’aventure du poète

1. Les procédés poétiques

On peut repérer dans ce poème un certain nombre de moyens poétiques qui concourent à renouveler le thème classique de la rencontre amoureuse.
Les enjambements sont fort nombreux : la préposition « de » se trouve au premier vers, le complément qu’elle gouverne au second. Le numéral est dissocié de l’adjectif « bonnes ». Ces enjambements donnent une impression de liberté et de légèreté qui correspond sans doute à la marche du poète. Elle ne doit à la volonté et se livre totalement à la marche de la femme. Plus discret est le rejet de « celle ».
Dans la dernière strophe le sens coïncide davantage avec la répétition des vers :

« Puis lentement je m’en allai

Pour quêter la Rose du Monde » qui correspond à la fin de l’aventure particulière.

Les rimes obéissent à la même fantaisie : rime féminine « dame » avec la rime étrangère « Amsterdam » ; « de » et « deux » qui assonent simplement avec « heures ». « Hollande » reste en suspens, ne reprenant que « voulant », et « allai » avec e ouvert, rime avec rappeler, e fermé.
Par contre, nous avons une rime riche avec « Monde » et suffisante avec « vit » et « vie ».
Remarquons les allitérations en p dans le premier vers ou reprise du son « ou » et « en » dans la dernière strophe.

2. L’idéalisation de la femme

Le poète métamorphose le souvenir d’une banale aventure amoureuse.
Le dernier vers est à ce titre précieux : « quêter la Rose du Monde ». Derrière le jeu de mots, apparaît une recherche beaucoup plus symbolique que l’incident « prétexte ».
En outre le mot « dame » a une connotation de noblesse qui correspond bien à cette impression ; la tonalité médiévale concorde également avec le verbe « quêter » et le mystère de ce nouveau Roman de la Rose.
On comprend alors que le poète va connaître l’errance des chevaliers des romans courtois et recherchera, comme eux, l’inaccessible beauté.
D’ailleurs on peut aussi être sensible à la tonalité médiévale du prénom « Rosemonde ». Dans l’expression « Sa bouche fleurie », l’adjectif se justifie par la proximité de la Hollande, pays des fleurs et surtout par le dernier vers.
La situation du poète « au pied du perron » est aussi significative. Elle manifeste l’élévation, l’idéalisation de la femme entrevue et la soumission du poète, « amoureux transi ».
Les deux vers « Celle à qui j’ai donné ma vie » ; «Un jour pendant plus de deux heures » jouent également sur le double registre de l’anecdote et de l’idéalisation. Le premier vers exprime en effet une passion quelque peu chevaleresque, totale et même absolue. Le second vers, au contraire, traduit la brièveté de l’aventure. Et même « plus de deux heures » atteint le but inverse de celui qui était apparemment souhaité. Il insiste dérisoirement sur la brièveté du temps passé.

L’intrusion d’un tiers nié (« Mais le canal était désert Le quai aussi et nul ne vit ») fait problème. Il semble que le poète aurait souhaité la présence d’un public qui donne sens à son aventure : « comment mes baisers retrouvèrent celle… ».

Une autre interprétation consisterait à voir dans le souhait d’Apollinaire de le désir de voir confirmer l’existence réelle de la dame. L’aventure, sans témoin, à l’insu de la femme, n’existe que dans l’imagination du poète.

3. Un poème de la modernité

La modernité du poème provient de l’absence de ponctuation. Dans ce poème, composé de 3 quintils d’octosyllabes à rimes croisées, Apollinaire remet en cause la régularité du poème en accumulant les enjambements (rejet au vers suivant d’un ou de plusieurs mots étroitement liés

Ce procédé donne une fluidité au poème, fortement accentuée par l’absence de ponctuation. La suppression de la ponctuation, très audacieuse pour l’époque, n’a pas été bien accueillie par tous.

Il s’agit donc d’un poème de la modernité, car le poète rompt avec la tradition : « le rythme même est la coupe des vers, voila la véritable ponctuation » dit Apollinaire, faisant ici preuve d’une véritable innovation.

Conclusion

Nous sommes en présence d’un poème à tonalité mixte. Il mêle les éléments légers à d’autres beaucoup plus mélancoliques.

Le poète reprend le thème médiéval de la quête amoureuse. La modernité du texte ne se trouve donc pas dans la thématique mais dans l’évocation surprenante de certaines images. Apollinaire reprend un thème qui lui est cher, celui de l’échec amoureux qu’il transpose d’une certaine façon dans cet épisode se soldant par une non rencontre.

Par ces vers originaux, Apollinaire renouvelle la poésie. Les moyens poétiques mis en œuvre, la légèreté et la mélancolie du ton lui permettent de traiter le thème de l’amour par une approche juvénile.

C’est ainsi qu’Apollinaire insuffle une certaine passion au poème ce qui lui permet de faire partager ses émotions au lecteur, ici la fascination de la femme aimée.

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