Pierre de Ronsard

Ronsard, La Nouvelle Continuation des Amours, Hé que voulez-vous dire ?

Poème étudié

Hé que voulez-vous dire ? Êtes-vous si cruelle
De ne vouloir aimer ? Voyez les passereaux
Qui démènent l’amour : voyez les colombeaux,
Regardez le ramier, voyez la tourterelle,

Voyez deçà delà d’une frétillante aile
Voleter par le bois les amoureux oiseaux,
Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,
Et toute chose rire en la saison nouvelle :

Ici, la bergerette en tournant son fuseau
Dégoise ses amours, et là, le pastoureau
Répond à sa chanson ; ici toute chose aime,

Tout parle de l’amour, tout s’en veut enflammer :
Seulement votre cœur, froid d’une glace extrême,
Demeure opiniâtre et ne veut point aimer.

Ronsard, Nouvelle continuation des Amours (1556)

Introduction

Pierre de Ronsard (1524-1585), est le chef de file de la Pléiade, il participe avec Du Bellay à la rédaction de Défense et Illustration de la Langue Française. Ronsard est poète de cour et humaniste mais ses quatre premiers livres d’Odes reçoivent un accueil médiocre. Il est essentiellement connu comme « le poète des amours ». poèmes d’amour à la manière de PETRARQUE (Les Amours de Cassandre, 1552) qui lui assureront le succès. Puis il rédigera plusieurs autres recueils de sonnets, en particulier les Sonnets pour Hélène (publiés en 1578).

Ce poème est dédié à une modeste paysanne originaire de Bourgueil : Marie Dupin. Ronsard s’éprend de cette fille qui avait alors 15 ans tandis que lui en avait 30. Ce poème est extrait du recueil La nouvelle Continuation des Amours (1556).

Dans ce recueil, Ronsard renonce à la poésie savante et érudite qui caractérise Les Amours de Cassandre. Sous l’effet des critiques qui lui ont été adressées, il se tourne vers un style plus simple.

L’inspiratrice, la jeune paysanne de Bourgueil, appelle une expression plus naturelle. Marie est insensible à l’amour de l’écrivain et le poème cherche à la convaincre d’aimer. Le goût vif de la nature, que Ronsard apprécie dans son Vendômois natal, constitue l’essentiel du sonnet. Il sera donc possible d’étudier comment le poète décrit la nature en fête puis comment cette évocation vise à persuader Marie de participer à l’allégresse universelle.

I. Évocation de la nature en fête

1. Le choix des éléments

Le poème décrit tout d’abord une nature qui offre un spectacle joyeux.

Le choix des éléments est caractéristique : pour le monde animal, seuls les oiseaux sont représentés. Passereaux, colombeaux, ramier, tourterelle, tous évoquent la douceur, la blancheur.

En un quatrain, quatre noms sont énumérés, c’est dire la variété, la diversité qui s’attachent à cette espèce.

Le règne végétal n’est désigné que par deux éléments, vigne et ormeaux.

Quant aux êtres humains, Ronsard a choisi la bergerette et le pastoureau : des hommes au contact des animaux, proches de la nature.

Ces êtres posent bien le cadre naturel qui convient au poète.

2. Jeunesse, mouvement et vie

Chacun d’entre eux évoque la jeunesse : l’adjectif jeune qualifie la vigne, le diminutif de bergerette souligne aussi la fraîcheur de cet univers qui trouve une confirmation dans « la saison nouvelle », le printemps.

Ici nulle annonce du vieillissement qui incite dans d’autres poèmes de Ronsard à profiter de la vie.

Le mouvement anime le sonnet : les adverbes de lieu, « ici », « là », « deçà », « delà » soulignent la diversité du paysage.

Mais ce mouvement est fragile, délicat : le verbe « voleter », l’adjectif « frétillante » suggèrent bien ce frémissement. L’emploi de « par le bois » est dynamique, il donne une impression de passage que n’aurait pas réussi à évoquer la préposition « dans ».

On comprend alors mieux la raison du choix des oiseaux comme représentants du monde animal. Aériens, ils accentuent la liberté, la légèreté de l’ensemble. Les allitérations en « v » dans le second quatrain s’accordent bien avec cette impression.

·Pour exprimer l’allégresse, seul le chant convenait : de là les termes « dégoise » et « chanson ». La nature s’éveille à la vie.

3. L’amour

Le lien qui unit ces différents éléments s’appelle l’amour. Le sentiment revient sous des formes variées : adjectif, nom ou verbes, il imprègne tout.

Les plantes elles-mêmes ne sont pas inertes : le verbe « embrasser » a pour sujet la jeune vigne et les verbes « parler » et « vent » du deuxième tercet soulignent la vie.

Nous avons là une animation de toutes les parties de la nature.

Les échanges se produisent entre mêmes catégories (la bergerette et le pastoureau) ou entre les éléments différents (la vigne et les ormeaux).

Transition : Mais cette description n’est pas gratuite. Comme souvent chez Ronsard, elle a un but : convaincre.

II. Le désir de convaincre

1. L’adresse à Marie

Cet objectif explique l’apostrophe qui ouvre le texte : « Hé que voulez-vous dire ? ».

Le ton est alerte et cherche à établir une communication véritable.

L’insistance des impératifs « voyez » offre au regard de la jeune fille le spectacle de la nature.

Le texte progresse des éléments particuliers à « tout » repris trois fois.

Le reste a valeur de démonstration.

Tout invite à l’amour. Les deux jeunes paysans décrits dans le premier tercet devraient avoir valeur d’exemple pour la jeune paysanne.

2. Le refus d’aimer

Nous avons noté dans la première partie l’insistance portée aux termes de l’amour.

Or le poème s’encadre entre deux expressions du refus « de ne vouloir aimer ».

Il est intéressant de noter ici l’expression de la volonté.

Tout se passe comme si Marie prenait la décision de se fermer aux sentiments, alors que la spontanéité pousse à se joindre au vaste mouvement.

L’opposition s’affirme manifestement entre le verbe « enflammer » et la « glace » qui habite le cœur de Marie. D’un côté la flamme amoureuse du printemps, de l’autre le froid et l’hiver.

3. La distance entre Marie et Ronsard

Chaque élément se correspond.

Le verbe « répond » indique bien ces relations. La paysanne dans ce vaste ensemble est seule, « seulement ».

Sa décision est alors présentée comme une anomalie.

Le déséquilibre est alors flagrant entre la longue description du paysage et les deux vers qui expriment l’isolement.

On comprend mieux que Ronsard maintienne tout au long du texte le vouvoiement.

Le poète se place du côté des lois naturelles et la distance se maintient entre lui et Marie.

Conclusion

L’objectif du poète est donc de séduire la jeune paysanne. Son art procède alors en deux étapes : montrer la fraîcheur et la joie de ce paysage composé.

Il s’agit d’inciter la jeune fille à rejoindre ce monde vivant et qui aime.

Par ailleurs tout l’effort de Ronsard tend à stigmatiser l’attitude « marginale » de Marie qui se met hors des lois de la nature en fermant don cœur.

Du la démonstration est claire et même pesante quant à la nécessité d’aimer, elle est par contre discrète quant à l’objet de la passion.

Le « aimez-moi » donc « je vous envoie un bouquet » est en effet sous-entendu.

Le poème s’inscrit dans la forme chère à Ronsard d’une description qui ne se réduit pas à elle-même mais qui obéit à un objectif de persuasion.

Du même auteur Ronsard, Je vous envoie un bouquet que ma main... Ronsard, Les Amours de Cassandre, Ciel, Air et Vents... Ronsard, Sonnets pour Hélène, Quand vous serez bien vieille... Ronsard, Discours des misères de ce temps Ronsard, Derniers vers Ronsard, Les Amours de Marie, Comme on voit sur la branche... Ronsard, Les Amours, Douce beauté, Meurtrière de ma vie

Tags

Commentaires

0 commentaires à “Ronsard, Les Amours, Douce beauté, Meurtrière de ma vie”

Commenter cet article