Guillaume Apollinaire

Apollinaire, Alcools, Les Colchiques

Poème étudié

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Apollinaire, Alcools

Introduction

Guillaume Apollinaire publie en 1913 un recueil de poèmes d’une incroyable modernité poétique : Alcools. Le poème Les Colchiques s’inscrit dans la tradition de la poésie amoureuse tout en rénovant profondément son cadre formel. Si le thème traité par Apollinaire reste classique, ce texte peut être cependant considéré comme le tombeau du sonnet.

I. Un thème classique

La blessure mortelle distillée par les yeux de l’amante constitue un thème traditionnel de la poésie amoureuse, notamment de la tradition pétrarquiste (par exemple le poème de Du Bellay Ces cheveux d’or). On retrouve, comme dans le sonnet de Louise Labé Je vis, je meurs, une structure circulaire : le dernier vers renvoie au premier non seulement dans les mots (« pré » et « automne » sont repris tels quels ; « vénéneux » est repris par « mal fleuri ») mais aussi dans les sonorités (reprise de la rime initiale en « one ») ; le narrateur est prisonnier des charmes de celle qu’il aime et son désir devient une obsession.

Les sonorités illustrent cet empoisonnement : les rimes en A (vers 4-5 et 8-9) et les allitérations désagréables en K (vers 9 pour rendre le bruit de la sortie des écoliers) connotent la douleur.

De nombreuses images renvoient également à la poésie pétrarquiste : les antithèses (v.1 « vénéneux » s’oppose à « joli » ; v.10-11 « mères » s’oppose à « filles »), les comparaisons (v.5, 6, 10 et 12) et les métaphores (v.4 et 7) idéalisent la femme aimée et placent la souffrance au premier rang des plaisirs d’amour.

La forme même du texte reflète la vie qui quitte lentement le poète : les strophes vont en se réduisant progressivement (7 vers, 5 vers puis 3 vers).

Cette structure qui meurt comme l’auteur illustre également le choix d’une forme poétique plus guère utilisée au XX° siècle mais qu’Apollinaire rénove avec audace.

II. Le tombeau du sonnet

Ce poème n’offre nullement l’apparence d’un sonnet, genre-roi de la poésie française : il n’en a ni la disposition (3 strophes au lieu de 2 quatrains suivis de 2 tercets), ni le nombre de vers (15 au lieu de 14). Pourtant le retour des rimes en « one » (« automne » et « empoisonne ») et en « a » (« lilas », « là », « fracas », « harmonica ») met en évidence une régularité qui rappelle celle du sonnet (« que la rime en deux sons frappât huit fois l’oreille » prônait Boileau pour les quatrains dans son Art Poétique). Seuls les vers 2 et 3 semblent poser problème par leur brièveté et par le fait que le vers 2 ne rime avec aucun autre. En fait il s’agit là de deux hémistiches qui, dans un environnement de vers longs (alexandrins ou quasi alexandrins) doivent être réunis pour former un vers de douze pieds parfaitement régulier. Le poème passe maintenant à 14 vers. On retrouve donc la matrice du sonnet, à ceci près que de la disposition initiale il ne reste que le dernier tercet et les reprises des sonorités des huit premiers vers (les deux quatrains du sonnet).

La forme de l’alexandrin subit des transformations analogues : alors qu’il est employé de manière régulière dans les premiers vers, il se défait ensuite, par exemple aux vers 9, 11 et 14 qui souffrent d’un excès de syllabes. C’est donc tout le poème qui joue sur les formes canoniques, en les faisant sortir de leurs normes. Ce jeu, cet écart illustre aussi physiquement l’empoisonnement du poète.

Ce sonnet défiguré est à la fois le signe que cette forme ne correspond plus aux sensibilités des poètes modernes mais aussi un formidable hommage à l’emblème de la poésie française et à sa puissance créatrice.

Conclusion

L’empoisonnement est tragique car la beauté des fleurs/du regard masque une issue fatale. Apollinaire réunit sans doute dans cette évocation ses amours malheureuses (notamment Annie Playden et Marie Laurencin) mais parvient, par le jeu sur la forme, à rénover ce thème pourtant classique.

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