Victor Hugo

Hugo, Châtiments, Chanson

Texte étudié

Sa grandeur éblouit l’histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût ;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit. –
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.

Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain.
Il entra sur le pont d’Arcole,
Il en sortit. –
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.

Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses ;
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset ;
Il triompha de cent bastilles
Qu’il investit. –
Voici pour toi, voici des filles,
Petit, petit.

Il passait les monts et les plaines,
Tenant en main
La palme, la foudre et les rênes
Du genre humain ;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit. –
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.

Quand il tomba, lâchant le monde,
L’immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Le gouffre amer ;
Il y plongea, sinistre archange,
Et s’engloutit. –
Toi, tu te noieras dans la fange,
Petit, petit.

Hugo, Châtiments (VII, 6)

Introduction

Victor Hugo s’exile pendant 18 ans dans les îles anglo-normandes, en raison de son opposition à Louis-Napoléon Bonaparte. Il édifie la légende napoléonienne qui alimenta le Mal du Siècle d’une génération déçue par la Révolution et les régimes qui suivirent. Châtiments est un recueil de poèmes de 7 livres dans lesquels il fait de Napoléon III le modèle du tyran. Le poème intitulé Chanson se montre particulièrement virulent puisqu’il oppose Napoléon Ier à Napoléon III dans un pamphlet qui s’appuie sur des références historiques mais révèle aussi le parti pris de l’auteur.

I. Valorisation et dépréciation

Énonciation

Pour Napoléon Ier : entrée en matière énigmatique v.2 (absence de précision pour montrer que tout le monde reconnaît le héros à ses actes ; cf. absence de numéro pour le qualifier v.9 : il n’existe qu’un seul Napoléon, selon Hugo) ; 9 occurrences de la 3° personne de majesté « il » ; anaphore au 5° vers des strophes 2, 3, 4 et 5.

Pour Napoléon III : 2° personne du singulier « toi » v.7, 23 et 39 : tutoiement méprisant, apostrophe. Emploi de l’impératif v.7, 15 et 31.

Champs lexicaux

Pour Napoléon Ier : vocabulaire mélioratif et hyperbolique : champs lexicaux de la divinité et de la conquête militaire. Il apparaît comme un être surhumain, un héros épique à la manière de César et d’Alexandre. Il connaît d’ailleurs une fin de titan : v.33 « lâchant le monde », v.35 « chute profonde », v.38 « s’engloutit ».

Pour Napoléon III : vocabulaire péjoratif et hyperbolique qui fait de lui un portrait insultant :

– un imitateur v.7 « singe »
– un profiteur, un homme corrompu v.15
– un débauché v.23 « des filles » (des prostituées)
– un homme cruel v.31

Sa fin est également à son image (vie sale, boueuse), médiocre et abjecte (malédiction finale au futur) v.39.

Rythme

Pour Napoléon Ier : 6 premiers vers de chaque strophe ; nombreux enjambements (v.2-4, v.5-6 par exemple) illustrant son dynamisme et sa majesté.

Pour Napoléon III : son évocation est fortement séparée de celle de Napoléon Ier par un tiret ; 2 derniers vers de chaque strophe ; rythme haché par de nombreux signes de ponctuation (v.7-8 par exemple) illustrant sa petitesse ; refrain (dernier vers de chaque strophe) : rythme mécanique, sans génie ni originalité (2+2) : mépris du terme « petit » (utilisé pour appeler la volaille).

Cette opposition entre la grandeur et la mesquinerie est aussi l’occasion pour Hugo de rappeler des événements historiques qu’il présente de manière subjective.

II. Réalité historique et parti pris

1. Réalité historique

Repères temporels et spatiaux : le texte a une structure narrative chronologique :

v.2 « quinze ans » : référence au « règne » de Napoléon Ier, de 1799 (coup d’état du 18 Brumaire) à 1814 (1° abdication et exil sur l’île d’Elbe).

v.13 « sur le pont d’Arcole » : 1796 (guerre d’Italie : Bonaparte y révèle son génie militaire ; moment immortalisé par le peintre officiel Gros) ; « il entra […] il en sortit » : asyndète (absence de liaison) montrant la rapidité de l’action (cf. « veni, vidi, vici » de César).

v.17 « Berlin, Vienne » : 1805-1806 : campagnes contre les Prussiens et les Autrichiens ; métaphore filée assimilant les conquêtes militaires à des conquêtes amoureuses : « maîtresses / forteresses ; forçait / corset ».

v.27 « la palme » : symbole de victoire et de gloire : 1807-1812 : hégémonie française sur l’Europe.

v.33 « quand il tomba […] l’immense mer » : 1815, défaite de Waterloo et déportation à Sainte-Hélène, îlot de l’Atlantique au large de l’Afrique.

Plan : les 5 strophes suivent l’épopée napoléonienne :

v.1-8 : présentation sous forme de résumé.
v.9-16 : le jeune général commandant des armées.
v.17-24 : les grandes victoires.
v.25-32 : l’hégémonie sur l’Europe.
v.33-40 : l’exil à Sainte-Hélène.

2. Parti pris

Le portrait hyperbolique de Napoléon Ier révèle néanmoins pour le lecteur d’aujourd’hui un certain nombre de défauts pouvant alimenter la critique à l’égard de cet empereur :

La dictature militaire : champ lexical de la violence : v.4 « un affût », v.5 « loi guerrière », v.9 « mitraille », v.18 « il les forçait » (cf. v.6 : violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes).

L’ambivalence du personnage : oxymore v.37 « sinistre archange » (connotation diabolique, Satan étant l’ange déchu) ; démesure entraînant sa propre chute v.29 « ivre de sa gloire ».

La mythification de Napoléon Ier peut donc aussi se lire comme une mystification.

Conclusion

Hugo attendra la chute de l’Empire en 1870 pour rentrer en France. En 1885, lorsqu’il meurt, des funérailles nationales rendent hommage à l’homme dont l’œuvre a déjà pris une dimension mythique.

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