Victor Hugo

Hugo, Les Contemplations, Elle était déchaussée, elle était décoiffée

Texte étudié

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l’eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

Mont.-l’Am., juin 183…

Hugo, Les Contemplations

Introduction

Ce poème est extrait des Contemplations. Cette œuvre de Victor Hugo est divisée en deux parties : autrefois et aujourd’hui, ces deux parties étant séparées par la mot de sa fille.

Ce poème de style très romantique appartient à la première partie. Il relate avec fraîcheur et émotion une scène de rencontre campagnarde. C’est une vision presque féérique à laquelle s’ajoute le charme du jeu de la séduction. Il dépeint un moment de bonheur et de lumière, à la fois simple (dans le sens de naturel) et complexe (comme le cœur humain).

Dans un premier axe, nous étudierons l’image de la séduction, le deuxième axe montrera la structure alternée et subtile du ballet amoureux, et enfin nous étudierons tout ce qui fait de ce poème une scène traditionnelle.

I. L’image de la séduction

L’image de la séduction se résume en un seul mot : « Elle », retrouvé dans les anaphores vers 1, 5, 9 et 10. Qui est-elle ? Une jeune fille sauvage mais… peu farouche.

1. Sauvageonne

Elle a une toilette et une allure désordonnée, soulignées par les mots « déchaussée » et « décoiffée » que l’on retrouve dans des hémistiches semblables et qui sont repris au vers 16.
Cette jeune fille désordonnée se trouve dans une nature qui est elle-même désordonnée (« joncs penchants »).
Cet accord parfait entre la jeune fille et la nature qui l’environne est retrouvé un peu partout dans le poème.
La jeune fille est belle et simple comme la nature qui l’entoure ; elle est séductrice comme la nature : « caressait » (vers 13).
On note le « parmi » du vers 2 associé à un complément de lieu auquel répond « dans les grands roseaux verts » (vers 14) qui marque une fois de plus cet accord parfait, l’association jeune fille/nature que le narrateur souligne sans cesse.
Elle est libre : « folâtre » (vers 11), « effarée et sauvage » (vers 13) : ces termes indiquent même une certaine animalité.
Elle est belle : vers 6, 11 et 15.
Elle est comparée à une fée au vers 3 ce qui peut lui conférer des pouvoirs presque surnaturels. On retrouve cette notion de surnaturel dans la description de cette scène si naturelle, que paradoxalement elle parait presque surnaturelle.

2. Peu farouche

Elle ne répond pas sauf par le regard (vers 5) mais elle ne s’enfuit pas non plus. Ce regard est essentiel dans la scène de rencontre. Le « regarda » du vers 5 est d’ailleurs renforcé par un complément de moyen et on note l’anaphore aux vers 5 et 10.
Il y a une évolution dans son attitude, elle vient après le deuxième regard, après l’hésitation du vers 11. Elle vient de façon abrupte au vers 14. Il n’y a pas de transition car cette décision est soudaine.

II. La structure alternée et subtile du ballet amoureux

Le narrateur voit la scène dans une alternance continuelle elle/je, en regards et en paroles, de nature heureuse et complice. Le « elle » prédomine. Elle est d’abord vue de loin puis elle impose sa présence par des regards, son hésitation et sa réponse. La troisième strophe est entièrement consacrée à la jeune fille : il n’y a pas de « je ».
Il s’agit de deux adolescents. Le « je » voit et invite. « Elle » regarde, hésite, accepte, vient. Ils sont réunis en « tu » (vers 4 et 7) qui est plus naturel que vous, plus intime, et ils sont surtout réunis en « nous » au vers 8, qui évoque la formation possible d’un couple.
Qui l’emporte ? A la fin, rien n’est dit.
On a ici un joli jeu d’alternance qui est tout le jeu de la séduction. Il est renforcé par les rimes croisées masculines et féminines et par la structure du texte : deux quatrains pour l’invite et les interrogations, et deux quatrains pour la réponse, les points d’exclamation et le bonheur.

III. Une scène traditionnelle

Il s’agit sans doute d’un souvenir d’adolescence de Victor Hugo, peut-être seulement un rêve. Mais la scène a une valeur universelle et intemporelle.

1. Où et quand ? On ne sait pas…

Il n’y a pas de repères spatio-temporels dans ce poème. On sait seulement que c’est le printemps, au bord de l’eau. Ce n’est pas très original, voire même un peu stéréotypé.

2. Registre populaire

Le registre est populaire car le thème aussi. Les circonstances, les thèmes, sont chers aux Romantiques, mais le déroulement de la séduction est différent. La nature est propice à l’amour et le poète romantique aime à la célébrer et à en faire le témoin de choses muettes (voir Maupassant et ses nouvelles).
Ce poème est loin de la rigidité classique, il fait preuve d’une certaine liberté dans la métrique et peut faire penser à une chanson par bien des aspects : le rythme dansant et chantant de certains vers comme le vers 1, ou encore la reprise de phrases semblables, de tournures similaires (« belle », « Oh ! Comme ») qui relèvent du refrain dans la chanson.
On retrouve aussi un registre faisant penser aux chansons populaires, même encore du début du XXe siècle.

3. L’éternel féminin

L’éternel féminin qui est très souvent retrouvé dans les poèmes romantiques : la femme fée, la femme nymphe, la femme originelle, l’éternelle Eve, la femme qui hésite à se laisser séduire, à la fois timide et coquine.

Conclusion

De part l’expression des sentiments et des sensations et la présence de la nature, et parce qu’il met en pratique la simplification de la poésie ce poème est à rapprocher du mouvement romantique. Mais en même temps il s’en échappe par son érotisme personnel et sa légèreté.
C’est un poème suggestif (à la fin) et léger. Le sujet pouvait paraître scabreux mais Hugo l’innocente. La spontanéité, l’élan, la fraîcheur de cette scène en font la pureté. Il décrit des moments intemporels, la joie de vivre, l’émotion du souvenir mais aussi du moment même. Est-ce le regret de la jeunesse et de l’insouciance perdue ? C’est un regret implicite dans ce cas.
Le poème est avant tout à lire comme un moment de vie et d’amour, un moment d’innocence heureuse.

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