Voltaire

Voltaire, Le Monde comme il va, Les lettres

Texte étudié

VIII. Retiré chez lui, il envoya chercher des livres nouveaux pour adoucir son chagrin, et il pria quelques lettrés à dîner pour se réjouir. Il en vint deux fois plus qu’il n’en avait demandé, comme les guêpes que le miel attire. Ces parasites se pressaient de manger et de parler; ils louaient deux sortes de personnes, les morts et eux-mêmes, et jamais leurs contemporains, excepté le maître de la maison. Si quelqu’un d’eux disait un bon mot, les autres baissaient les yeux et se mordaient les lèvres de douleur de ne l’avoir pas dit. Ils avaient moins de dissimulation que les mages, parce qu’ils n’avaient pas de si grands objets d’ambition. Chacun d’eux briguait une place de valet et une réputation de grand homme ; ils se disaient en face des choses insultantes, qu’ils croyaient des traits d’esprit. Ils avaient eu quelque connaissance de la mission de Babouc. L’un d’eux le pria tout bas d’exterminer un auteur qui ne l’avait pas assez loué il y avait cinq ans ; un autre demanda la perte d’un citoyen qui n’avait jamais ri à ses comédies ; un troisième demanda l’extinction de l’académie, parce qu’il n’avait jamais pu parvenir à y être admis. Le repas fini, chacun d’eux s’en alla seul, car il n’y avait pas dans toute la troupe deux hommes qui pussent se souffrir, ni même se parler ailleurs que chez les riches qui les invitaient à leur table. Babouc jugea qu’il n’y aurait pas grand mal quand cette vermine périrait dans la destruction générale.

IX. Dès qu’il se fut défait d’eux, il se mit à lire quelques livres nouveaux. Il y reconnut l’esprit de ses convives. Il vit surtout avec indignation ces gazettes de la médisance, ces archives du mauvais goût, que l’envie, la bassesse et la faim ont dictées ; ces lâches satires où l’on ménage le vautour, et où l’on déchire la colombe ; ces romans dénués d’imagination, où l’on voit tant de portraits de femmes que l’auteur ne connaît pas.

Il jeta au feu tous ces détestables écrits, et sortit pour aller le soir à la promenade. On le présenta à un vieux lettré qui n’était point venu grossir le nombre de ses parasites. Ce lettré fuyait toujours la foule, connaissait les hommes, en fesait usage, et se communiquait avec discrétion. Babouc lui parla avec douleur de ce qu’il avait lu et de ce qu’il avait vu.

Vous avez lu des choses bien méprisables, lui dit le sage lettré; mais dans tous les temps, dans tous les pays, et dans tous les genres, le mauvais fourmille, et le bon est rare. Vous avez reçu chez vous le rebut de la pédanterie, parce que, dans toutes les professions, ce qu’il y a de plus indigne de paraître est toujours ce qui se présente avec le plus d’impudence. Les véritables sages vivent entre eux retirés et tranquilles ; il y a encore parmi nous des hommes et des livres dignes de votre attention. Dans le temps qu’il parlait ainsi, un autre lettré les joignit ; leurs discours furent si agréables et si instructifs, si élevés au-dessus des préjugés et si conformes à la vertu, que Babouc avoua n’avoir jamais rien entendu de pareil. Voilà des hommes, disait-il tout bas, à qui l’ange Ituriel n’osera toucher, ou il sera bien impitoyable.

Voltaire, Le Monde comme il va

Introduction

Les philosophes des Lumières ont marqué le domaine des idées et de la littérature par leurs remises en question fondées sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté. Voltaire, qui est l’un d’entre eux, exprime à travers un conte philosophique, « Le Monde comme il va« , ses idées nouvelles sur la politique et l’importance de la vertu. C’est à travers le regard étranger de Babouc que Voltaire se livre à cette critique. Babouc est envoyé par l’ange Ituriel afin de savoir si Persépolis sera détruite. Dans le passage étudié, Babouc reçoit de mauvais lettrés puis rencontre un bon lettré. Nous étudierons dans un premier temps les mauvais lettrés et leurs livres puis dans un second temps nous examinerons la défense des bons lettrés.

I. Les mauvais lettrés et leurs livres

A. Reproches faits aux mauvais lettrés

Le comportement des lettrés :

« Il en vint deux fois plus » : les mauvais lettrés s’invitent.
Comparaisons péjoratives avec des insectes : « comme les guêpes que le miel attire », « ces parasites », « cette vermine », rabaissant les lettrés.
« toute la troupe » : allusion à un troupeau (péjoratif).
« ces » ; « cette » : adjectif démonstratif à valeur péjorative qui généralise le comportement des lettrés.

Ils sont jaloux, envieux :

Si un « disait un bon mot » = « ils baissaient les yeux » et « ils se mordaient les lèvres » : relation de cause à effet.

Ils manquent d’ambition intellectuelle, de talent :

« ils briguaient un poste de valet » : peu d’ambitions.
Il faut abaisser l’autre : « ils se disaient des choses insultantes, qu’ils croyaient des traits d’esprit » ? un bon mot est de dire du mal des autres.

Leurs demandes :

« Ils avaient » : ils = indéfini ; imparfait = vérité générale dans le passé ? il généralise à l’ensemble de la profession.
Répétition : « l’un d’eux le pria », « un autre demanda », « un troisième demanda » ? un = article indéfini qui généralise ? on passe au passé simple pour parler de lettrés précis.
« exterminer un auteur qui ne l’avait pas assez loué il y avait cinq ans », « la perte d’un citoyen qui n’avait jamais ri à ses comédies » ? parallélisme de construction = mise en saillie de la disproportion entre leur demande et ce qu’on leur a fait ? côté hyperbolique, comique ? caricature qui amplifie les traits des lettrés.
Ils sont lâches : « tout bas ».

Ils sont solitaires, associables :

« il n’y avait pas deux hommes qui pussent se souffrir » => contraire aux qualités des philosophes.

B. Reproche des livres

Énumération

de tous ceux que déteste Voltaire :

« ces gazettes de la médisance, ces archives du mauvais goût », « ces lâches satires » ? à la mode au 18ème siècle, permettaient de dire du mal, et Voltaire en a été victime. Ici, parallélisme syntaxique : adjectif plus nom.
Énumération des causes de ces pamphlets : « envie, bassesse et la faim ».
« où l’on ménage le vautour et où l’on déchire la colombe » ? colombe = pureté, faiblesse ; vautour = rapace, méchanceté, charognard (péjoratif). Ils attaquent les plus faibles.
« Romans dénués d’imagination » ? critique des livres à l’eau de rose. De plus au 18ème siècle, les romans sont peu appréciés.
Conséquence : « il jeta au feu tous ces détestables écrits ».

Voltaire règle ici un compte personnel.

II. Éloge des bons lettrés

A. Qualité du lettré, qualité du philosophe

« fuir la foule » ? fuit la mondanité que les mauvais lettrés font.

« il connaissait les hommes » ? il est cultivé.

« il en faisait usage » ? il fréquente les hommes, il est sociable.

« communiquait avec discrétion » ? il sait parler sans chercher à faire des bons mots.

B. Il y a du bon et du mauvais chez les hommes

Beaucoup de mauvais et peu de bon…

« le mauvais fourmille et le bon est rare » ? présent de vérité générale.
Anaphore de « tous », indéfini : « tous les temps », « tous les pays », « tous les genres » ? souligne l’idée que en général il y a du mauvais.

? Généralisation : présent de vérité générale et phrases sous forme de maximes.
Superlatifs : « le plus indigne », « le plus d’impudence » => renforce la descente des mauvais lettrés.

Il y a du bon quand même : « il y a encore parmi nous des hommes et des livres dignes de votre attention ».

Il n’est pas tout seul : « un autre lettré les joignit ».
? Quand Voltaire parle des bons lettrés, il n’y a pas d’ironie.

Anaphore de « si » : « si agréables, si instructifs, si conformes à la vertu ». Construction : adjectif d’intensité suivi d’un adjectif mélioratif ? qualités des philosophes ? montre que ce sont vraiment des bons lettrés.

« Au-dessus des préjugés » ? combat des philosophes contre la superstition.

Conclusion

A l’issue de notre analyse on se rend compte que Voltaire règle ici des comptes personnels avec des gens de son époque mais aussi que partout le bon est plus difficile à trouver que le mauvais. On peut rapprocher ce livre à Candide de Voltaire également. En effet, Le Monde comme il va est un peu considéré comme une ébauche de Candide dans lequel Voltaire fait de nouveau une critique virulente de la société occidentale et des lettrés à travers la philosophie de Panglos.

Du même auteur Voltaire, Candide, Chapitre 22, A peine... ne s'en étonnait pas. Voltaire, L'Ingénu, Chapitre 8 Voltaire, Candide, Chapitre 17, Arrivée au pays d'Eldorado Voltaire, Dialogue du Chapon et de la Poularde Voltaire, Candide, Chapitre 12, Le récit de la vieille Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne Voltaire, Micromégas, Chapitre 4 Voltaire, Lettre Philosophique X, Sur le commerce Voltaire, L'Ingénu, Chapitre 9, Arrivée de l'Ingénu à Versailles, sa réception à la cour Voltaire, Candide, Chapitre 2, ...prodige

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