Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, Le pouvoir des Fables, Première partie

Fable étudiée

A M. De Barillon

La qualité d’Ambassadeur
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d’autres affaires
A démêler que les débats
Du Lapin et de la Belette.
Lisez-les, ne les lisez pas ;
Mais empêchez qu’on ne nous mette
Toute l’Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,
J’y consens ; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre ? et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence, et par adresse,
Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons ; c’est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites-moi la grâce
De prendre en don ce peu d’encens.
Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n’en dirai pas plus :
Sur les Éloges que l’Envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.

Introduction

Nous allons étudier une fable de La Fontaine intitulée « Le Pouvoir des Fables », tirée du livre VIII, 4. Elle est dédiée à M. De Barillon, l’ambassadeur de Louis XIV. La Fontaine veut convaincre son interlocuteur, il doit persuader le roi d’Angleterre de l’inutilité d’une guerre avec la France. Cette fable s’inscrit dans son temps, elle est assez décisive, le contexte est celui d’une guerre proche. En fait, elle se compose de deux fables, la première est une longue dédicace à M. de Barillon en forme d’éloge qui prend l’allure d’une fable pour en présenter une autre. La deuxième contient une fable, elle avance une argumentation complète, plus qu’un discours purement rhétorique qui n’est pas toujours accessible à tous. La fable remplit ses deux fonctions, plaire et instruire, elle a donc un but didactique, mais capte l’attention des lecteurs. Dans le but d’analyser le pouvoir des fables, nous verrons dans un premier temps, l’éloge de l’ambassadeur avec, en second lieu, la dédicace présentée de façon habile et orientée.

I. Éloge de l’ambassadeur de la première fable

1. Une technique oratoire

Dans les deux premiers vers, « La qualité d’Ambassadeur Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ? », la question est rhétorique, la précaution, oratoire. Il rappelle la qualité sociale de son oratoire en le plaçant sur un piédestal de manière à dévaloriser le fabuliste et la fable. Cette attitude est calculée minutieusement. Il oppose ensuite la gravité et l’importance de la qualité d’ambassadeur aux vers de ses récits, « Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ? ». La fable s’ouvre ainsi sur un jeu d’oppositions. Le même procédé est repris des vers 26 à 27, « cependant, faîtes moi la grâce », nous avons ici le champ lexical de la cour et un verbe à l’impératif auquel s’ajoute « prenez » au vers 29. Ces verbes sont formulés comme s’il s’agissait d’un don ou d’une offrande à un être supérieur.

2. La flatterie

Nous avons outre la précaution oratoire, une certaine marge de flatterie. En effet, l’auteur met en valeur les qualités de l’ambassadeur, il insiste sur la qualité d’éloquence, son adresse, sa diplomatie, « Si votre esprit plein de souplesse, par éloquence, et par adresse ». Il le grandit également au niveau de qualités beaucoup plus personnelles, sa modestie, « Sur les Éloges que l’Envie doit avouer qui vous sont dus, vous ne voulez pas qu’on appuie ».

3. La situation d’énonciation

Le discours est argumentatif, c’est un mélange de déférence et de familiarités diverses. La déférence est essentiellement illustrée par le vers 3, « puis-je vous offrir mes vers ? », ou encore au vers 6, « vous avez bien d’autres affaires ». Il utilise des expressions familières aux vers 10, 11, 16 et 17, « Mais empêchez qu’on ne nous mette toute l’Europe sur les bras » ou encore, « j’ai peine à digérer la chose, n’est il pas encor temps que Louis se repose ? » Nous notons également une implication personnelle de la Fontaine ainsi que le suggère l’emploi du « je », il vouvoie l’ambassadeur dans une sorte de dialogue. Mais il y a beaucoup d’humour noir, d’ironie, « Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup, je vous sacrifierai cent moutons ; c’est beaucoup pour un habitant du Parnasse ». Ce dernier mot fait référence à la poésie, La Fontaine se définit par cette périphrase. L’auteur atteint le paroxysme de l’ironie avec les deux derniers vers, « Doit avouer qui vous sont dus, vous ne voulez pas qu’on appuie ».

L’éloge de l’ambassadeur dans cette première fable est en fait une dédicace très habile, nous allons à présent voir en quoi.

II. Une dédicace habile

1. Un récit animé pour présenter une autre fable

Nous avons une grande variété de verbes, un mélange d’alexandrins et d’octosyllabes. Cela permet de donner une vivacité à la fable, le rythme change, le lecteur ne s’ennuie pas. Les registres sont multiples, des vers 7 à 8, le registre est comique, « le lapin et la belette », aux vers 18 et 19, il est tragique, Louis XIV est comparé par une métaphore à Hercule, le célèbre héros, demi-dieu de l’Iliade d’Homère. L’hydre au vers 19 nous renvoie à la mythologie, l’hydre étant un monstre de l’Iliade. Les vers 11 et 12 relèvent du registre épique comme le confirment les nombreuses hyperboles. Les évènements sont présentés de façon dramatique.

2. Éloge de la paix

Le vers 11 nous montre que l’auteur cherche à empêcher la coalition contre la France. Au vers 17, Louis XIV est présenté comme un homme quelconque. Nous comprenons au vers 20 que Louis XIV est seul, « son bras ». Implicitement La Fontaine fait l’éloge de la paix. On comprend son point de vue, vers 15, il y a des relations cordiales entre les deux rois. La guerre serait un coup fatal, c’est pourquoi, au vers 27, le poète fabuliste s’implique personnellement.

3. Éloge de la fable

Le poète au vers 27 donne l’impression de rabaisser les fables, les contes. Il les dévalorise aux vers 7 et 8. Mais le titre est paradoxal, car il annonce le contraire, il évoque le pouvoir des fables, de l’imagination, du divertissement, du conte face à l’éloquence. C’est une fable dédiée. Il montre ainsi qu’on peut convaincre son auditoire en touchant la part de sensibilité même si les évènements relatés sont graves.

Conclusion

Nous avons étudié le pouvoir des fables dans la première fable du livre VIII. On peut remarquer l’extrême habilité de La Fontaine à la fois courtisan, conteur et fervent défenseur de la paix, capable de faire passer son opinion et ses convictions personnelles avec humour et déférence.

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