Arthur Rimbaud

Rimbaud, Illuminations, Aube

Poème étudié

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombre ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Introduction

Le texte que nous allons étudier est un poème d’Arthur Rimbaud intitulé « Aube », écrit en 1886.

Rimbaud est né en 1854, fut élevé par sa mère, il se fait remarquer pour ses vers en latin. Il fait plusieurs fugues, va même jusqu’en Belgique. Il écrira ses poèmes durant ses divers voyages.

Aube est tirée du recueil des « Illuminations ». C’est une publication très tardive, soit plus de 15 ans après le silence de Rimbaud. Le titre a été choisi par Verlaine. Ce poème constitue un rassemblement de textes de Verlaine. Il est d’une impossibilité de dater ces poèmes. Le titre choisi est beau et polysémique.

Il connote aux lumières, il pousse d’une imagination fulgurante, il révèle de l’illumination, de la révélation et l’instantanéité. « Aube » s’inscrit dans une tradition poétique notamment à la Renaissance (XVIème siècle).

C’est un renouvellement du thème par la présence d’un enfant magicien qui court après l’aube avant qu’elle disparaisse.

Afin de répondre à la problématique, à savoir qu’elle est la place de ce poème dans l’itinéraire de Rimbaud, nous verrons dans un premier temps l’évocation d’une course matinale, puis l’ambiguïté du « je » et enfin la signification de l’expérience.

I. Évocation d’une course matinale

1. La dimension narrative du poème

La dimension narrative du poème repose sur la chronologie avec différentes étapes aux vers 7 et 8 « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. » Le poème est par conséquent divisé en deux. Nous retrouvons du vers 2 à 3 « Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombre ne quittaient pas la route du bois ». L’immobilité de la nature est une association à une nature morte et sans vie, des vers 3 et 4 « J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit », l’éveil de la nature transparaît aux vers 5 et 6 « La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom », la première entreprise, des vers 7 et 8 « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. », la nature est une déesse, des vers 9 à 11 « A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais », le jeu de poursuite de l’aube, et des vers 12 et 13 « En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois », l’étreinte de l’aube. Il y a donc une chronologie successive dans ce poème.

2. Un itinéraire temporel

L’itinéraire temporel s’occasionne dès le vers 1 « J’ai embrassé l’aube d’été. », le vers d’ouverture. C’est un vers d’octosyllabe, un vers blanc et terminal. Il y a une continuité entre passé et présent que l’on peut relever avec les verbes du présents « je ris » et tous les verbes au passé présent dans le texte. Le vers 14 « Au réveil il était midi. » détient une importance primordiale, il clôture le texte et l’on peut relever l’importance du temps de l’imparfait.

Le poème est structuré en ellipse narrative sur plusieurs heures que l’on relève dans les avants dernières et la dernière strophe. L’itinéraire temporel est donc confus. Au début du poème mais c’est au cours des dernières strophes mais surtout au dernier vers que nous détenons cette information.

3. Itinéraire dans l’espace

L’espace est d’une nature confuse. Deux lieux sont confondus, la nature au vers 3 « J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit », au vers 7 « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : », au vers 9 « Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncé au coq », au vers 12 et 13 « comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, ». La nature est ici personnifiée au vers 4 « pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit ». Rimbaud donne de l’importance à celle-ci, ainsi qu’avec la métaphore au vers 7 « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins », Rimbaud y personnifie le wasserfall. Il transforme l’univers de la nature.

Cette dernière ressort donc les caractéristiques d’un monde enchanté et imaginaire.

L’espace à donc par conséquent une place indiscutable dans « Aube » car elle établit la majeur partie du rêve de l’enfant.

II. Ambiguïté du « je »

Le « je » renvoie au rêveur donc à Rimbaud. Il est présent tout le long du texte. Rimbaud utilise donc le procédé d’un témoignage direct, il s’adresse aux lecteurs d’Aube et nous prouve que chacun peut se mettre à la place du « je ». Une ambiguïté ou un défaut apparaît au vers 13 « L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. ». Il y a une rupture avec l’apparition soudaine d’un sujet à la troisième personne « L’aube et l’enfant ». Cette intervention travaillée du poète nous interpelle, elle permet ainsi au rêve de se terminer et au poème de se clôturer.

Rimbaud fait à travers ce poème appel au lyrisme qui est l’expression des sentiments personnels. Ici, l’enfant découvre le monde, les sensations au vers 13 et au plaisir qui renvoi au vers 1. On n’arrive pas précisément à savoir qui est vraiment l’auteur du « je ».

III. Signification de cette expérience

1. Un rêve

Le rêve s’illustre à travers les vers 13 et 14 «…et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. » avec l’ellipse narrative. Le vers 14 nous montre qu’il s’agit de l’éveil, par conséquent de la fin d’un rêve « Au réveil ». La confusion des lieux peut ainsi s’expliquer.

2. L’enchantement du monde par le rêve

La magie de l’enfance a fait son apparition tout le long du poème. Nous pouvons noter l’importance des personnifications aux vers 4 « et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit », aux vers 6 « une fleur qui me dit son nom » et aux vers 7 « Je ris au wasserfall qui s’échevela à travers les sapins » et surtout, l’aube est assimilée selon la tradition poétique à une déesse, une femme aux vers 1 « J’ai embrassé l’aube d’été », vers 9.

« A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes », vers 12 « En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, » et la sensualité du vers 13 est suggestif « j’ai senti un peu son immense corps ». L’enfant poète réveille le monde mort évoqué aux vers 2 et 3 « Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombre ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes », il veut conquérir le monde au vers 5 « La première entreprise fut ».

3. Une « illumination »

C’est le sens anglais d’enluminure, c’est une gravure. On rapproche ce poème avec le thématique de la lumière des vers 5 «de frais et blêmes éclats » avec l’oxymore, blêmes s’oppose à éclats, « blond » au vers 7 et la métaphore au vers 3 qui s’associe à une personnification « les pierreries regardèrent ». Le langage poétique « illumine» le monde. Ainsi, l’enfant s’identifie au poète.

Conclusion

Dans ce poème, Rimbaud nous fait une forme de la modernité poétique du poème en prose, c’est la thématique de Rimbaud « je est un autre » (référence à l’ambiguïté du sujet). Le véritable « je » est à découvrir grâce à la création poétique. Le poète se fait voyant, il s’apparente à « un voleur de feu ».

On peut faire un rapprochement entre ce poème et le recueil « Une saison en enfer », il y a pourtant opposition des deux titres, « Les illuminations » est d’un point de vue positif tandis que « saison en enfer » connote davantage l’aspect négatif. Il a de même une différence entre les termes de datation des recueils. Si le recueil « Les Illuminations » a été écrit après « Une Saison en enfer », on peut y voir une ultime et superbe réussite poétique avant le silence définitif du poète ; inversement si le dernier recueil est « Une Saison en enfer », on peut conclure sur un constat d’échec de cette expérience.

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