Arthur Rimbaud

Rimbaud, Poésies, Le Dormeur du Val (Commentaire 2)

Poème étudié

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit ; C’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.

Rimbaud, Poésies

Introduction

Ce poème est un sonnet composé de deux quatrains et e deux tercets. Les rimes des deux quatrains sont croisées (ABAB). Les deux premières rimes du premier tercet sont suivies ou plates, les quatre rimes suivantes forment un ensemble de rimes embrassées.

Rimbaud apparaît comme un météore de la poésie du XVIe siècle. Il écrit essentiellement entre 16 et 20 ans puis part à l’aventure.

Ce sonnet fut composé en octobre 1870. Il mêle les thèmes favoris de Rimbaud, le goût d’une nature, la tendresse pour les malheureux. La dernière phrase bouleverse la certitude établie : celle d’un jeune homme endormi, et donne au poème tout son pouvoir d’émotion.

Analyse

• Le premier quatrain sert à poser le décor : présentation du val.

• Le second quatrain introduit le personnage du « dormeur » dans ce contexte naturel et lumineux. Les deux tercets (sauf la dernière phrase) apportent des précisions sur la position et l’apparence du dormeur. La dernière phrase provoque un effet de choc : c’est une explication inattendue et brutale qui bouleverse et explique en même temps tout ce qui précède.

I. Premier quatrain

Longue proposition initiale du vers 1 à 3 : « c’est un trou… d’argent » : 12 syllabes + 12 + 12. La rupture du rythme au vers 3 après le rejet de « l’argent » est marquée par une coupe assez forte. Puis, une seconde relative relance la phrase, en poursuivant les caractérisations du lieu. La nature apparaît à la fois accueillante et étrange. On note l’étroitesse du lieu (vers 1) « trou de verdure », (vers 4) « petit val ».

La lumière est relative et hésitante « Luit… rayons ». Le thème fondamental est bien celui de la couleur, de la lumière (les mots au vers 3 : « argent », « soleil », « rayon »…). Les voyelles vives évoquent la lumière : « rayon », « montagne ». Même s’il y a beaucoup de lumière, celle-ci n’est pas éclatante, ni chaude, il s’agit en effet de couleurs froides. La nature d’autre part est personnifiée (vers 1) « chante », (vers 2) « follement », (vers 3) « fière ».
Dans la personnification du vers 1, la rivière est une sorte de poète qui crée de « l’argent » à partir de rien, (vers 2 et 3) « des haillons d’argent » (référence à l’humidité). Cette nature est à la fois banale : personnification, endroit accueillant ; mais elle comporte aussi des éléments étranges. Sa gaieté et son caractère vivants sont donc altérés par une certaine étrangeté. La lumière est très présente mais atténuée comme celle de l’éclairage d’une scène ;lumière mise en relief par les rejets : « argent » (vers 3), « lui » (vers 4) qui sont des éléments froids : il y a donc un mélange de froideur, d’humidité et de lumière. Il s’agit d’un décor accueillant mais sans chaleur, et donc d’une réalité qui fait naître une inquiétude diffuse.

II. Deuxième quatrain

Après avoir posé le décor, la seconde partie passe directement au personnage central, sans transition : longue phrase d’également 12 syllabes + 12 + 1, qui est presque symétrique à la première phrase du premier quatrain. « Un soldat jeune » : article indéfini. Le vers 5 est composé d’un groupe ternaire. L’aspect similaire de la position des verbes « Luit » (vers 4) et « Dors » (vers 7) présente de ce fait le soldat comme aussi naturel que l’action du soleil.

La nature apparaît toujours comme froide, humide (« baignant », « frais », « pleut ») et colorée (« bleu » et « vert »). Mais ces couleurs sont également froides comme la lumière.

Le personnage est décrit d’une manière générale, avec très peu de détails : « jeune » (vers 5). C’est plutôt l’attitude qui est décrite : « jeune », « nu » et « pale » mais encore « bouche ouverte » : sa position est enfantine et naïve : elle évoque l’innocence et la pureté. Au vers 7, « Dors » exprime la confiance mise en valeur par le rejet. Le soldat est bien intégré dans la nature : on peut citer à l’appui le vers 8 : « son lit » : c’est un lieu de sécurité, connotation protectrice. L’image est figée : les verbes d’état sont nombreux. Le repos est souligné. Ce jeune homme n’a pas une caractéristique de soldat. Rimbaud ne décrit pas un soldat vulnérable. Les attitudes sont naïves et spontanées. Il s’agit d’un soldat qui n’en est pas un, dans une nature étrange : on a une montée de l’inquiétude.

III. Les deux tercets

Dans les deux tercets, la troisième partie, le langage est simple. On se rapproche du soldat, décrit de plus en plus précisément. Il paraît de plus en plus vivant : « il dort » (vers 9), « souriant » (vers 9), il fait un somme au vers 10 (élément rassurant puisqu’un somme est un court sommeil), il a froid (vers 11). La nature n’est pas suffisamment maternelle contrairement à ce que souhaiterait Rimbaud. Elle ne répond pas aux attentes du poète et conserve son caractère étrange.

Le poème est déjà un hommage funéraire (vers 9) « les pieds dans les glaïeuls », (vers 11) « dans le soleil ». Sorte d’apothéose, de gloire posthume, il s’agit d’une sorte de monument funéraire, à la gloire du soldat et à l’image de sa simplicité : la main sur la poitrine (attitude solennelle, figée, statuaire). La dernière phrase au vers 14 évoque à la fois la vie et la mort. Le tableau présenté évoque l’éternité. De plus ce soldat est décrit dans une nature froide idéalisée ; le froid de sa mort s’est diffusé dans la nature. C’est la mort universelle qui est évoquée, surtout à la fin du poème, dans la progression. Les thèmes de ce poème sont d’abord la vulnérabilité et l’innocence « l’enfant » (vers 10), « nature » (comme la mère) au vers 11. On note le champ lexical du repos : le verbe « dormir » est répété trois fois, et il y a également le verbe « bercer » ; enfin le mot « tranquille » est mis en valeur par le rejet : l’immobilité, l’image figée (absence de verbe de mouvement) constituent un élément inquiétant ; de même que les mots « malade » (vers 10) et « froid » (vers 11).

Conclusion

La chute brutale vient confirmer cette inquiétude diffuse liée à l’étrangeté de la situation. Cette fin oblige à revoir tout le sens du poème.
Ainsi donc, c’est la guerre qui est dénoncée à travers ce tableau d’un soldat mort, sorte de « soldat » inconnu » qui représente toutes les victimes des combats. Au delà même, c’est la mort dans toute sa force aveugle intimement liée à la vie, comme ici ce cadavre au milieu d’une nature vive et estivale.

 

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