Arthur Rimbaud

Rimbaud, Une Saison en Enfer, Vierge Folle, Je suis Veuve…

Poème étudié

Je suis veuve… – J’étais veuve… – mais oui, j’ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette !… – Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je sais où il va, il le faut. Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! – c’est un Démon, vous savez, ce n’est pas un homme.

Il dit : « Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, coeur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j’aurai pu faire de bonnes camarades dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… »

Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme. « Je suis de race lointaine : mes pères étaient Scandinaves : ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. – Je me ferai des entailles partout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai… ». Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous nous roulions, je luttais avec lui ! – Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m’épouvanter mortellement. – « On me coupera vraiment le cou ; ce sera dégoûtant. » Oh ! Ces jours où il veut marcher avec l’air du crime !

Parfois il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les cœurs. Dans les bouges où nous nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d’une mère méchante pour les petits enfants. – Il s’en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme. – Il feignait d’être éclairé sur tout, commerce, art, médecine. – Je le suivais, il le faut !

Introduction

Le texte que nous allons étudier est un extrait de Vierge folle écrit entre 1872 et 1873, période évoquant la vie que menèrent Rimbaud et Verlaine. Ce poème a été écrit après la séparation des deux poètes. Arthur Rimbaud, né en 1854 fut élevé par sa mère, il se fait vite remarquer pour ses vers en latin. Il fait plusieurs fugues, va même jusqu’en Belgique et écrira pendant ses voyages plusieurs poèmes.

La relation avec Verlaine débutera en 1871, mais se concrétise de Septembre 1872 à Avril 1873. Rimbaud rédigera Une Saison en Enfer (20 pages de poèmes en prose versifiés qui tirent un bilan des aventures poétiques spirituelles du couple Rimbaud / Verlaine).

Une saison est une période très courte et « en enfer » marque la débauche de la violence des personnes, c’est un excès de leur vie. Rimbaud veut rompre cette damnation.

Vierge folle est un titre duel et doux, la vierge folle désigne Verlaine et l’époux infernal, Rimbaud.

Afin de répondre à la problématique, « quelle est la place de ce poème dans l’itinéraire de Rimbaud ? », nous verrons dans un premier temps le portrait de Rimbaud par Verlaine, puis en second temps lieu, le portrait de Verlaine par Rimbaud et enfin, un jeu de miroir.

I. Le portrait de Rimbaud par Verlaine

C’est la partie la plus évidente citée dans ce poème.

1. Le portrait physique

Le portrait physique apparaît très peu au long de ce poème, il est pratiquement absent, il n’y a pas de description directe. On nous dit que Rimbaud est un personnage proche de l’enfance au vers 1 « – Lui était presque un enfant… », il a une jeunesse extérieure notamment par son physique menu, il est blond aux yeux bleus, il a l’apparence d’un enfant, ne fait en aucun cas de son âge et semble d’une grande fragilité intérieure et extérieure. Au vers 1, transparaît la délicatesse mystérieuse dans son physique délicat « Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduites. ». Il y a donc en effet peu d’éléments physiques présents dans Vierge Folle pour décrire le poète. Au vers 20, nous avons de lui une comparaison avec une personne charmante « Il avait la pitié d’une mère méchante pour les petits enfants. – Il s’en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme. ».

2. Le comportement

Les éléments et caractéristiques pour décrire son attitude sont plus nombreux. Elle est contradictoire avec son apparence physique. Rimbaud est décrit ici comme violent, ayant un comportement brutal, une violence physique qu’il revendique. Il a une ascendance avec un ancêtre sanguinaire. Il vit dans un monde fictif, d’automutilation aux vers 10 et 11 « ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. – Je me ferai des entailles par tout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. ». Mais aussi une violence contre les autres aux vers 13 et 14 « Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous roulions, je luttais avec lui ! – Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m’épouvanter mortellement. ». C’est aussi une personne provocatrice dans ses comportements aux vers 11, 12 et 15 « je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. », « On me coupera vraiment le cou ; ce sera dégoûtant. ».

En revanche, il a de la considération pour les êtres faibles au vers 19 « il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. ». Il est touché par la misère, il parle en patois. Il a tout de même une certaine conscience sociale aux vers 18 « des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les cœurs. Dans les bouges où nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient ».

3. Les idées prises de position

Rimbaud a ses idées. Elles sont cassantes et définitives au vers 13 « Jamais je ne travaillerai… ». Il y a un refus de sa part, refus de l’amour des femmes, il dit que l’amour est a réinventer. Il dit : « Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage, aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j’aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… », il prend une position catégorique, il refuse le mariage aux vers 6 et 7. Et il a une grande prétention de lui même notamment, une grande prétention intellectuelle au vers 21 « Il feignait d’être éclairé sur tout, commerce, art, médecine. ».

II. Le portrait de Verlaine par Rimbaud

C’est un portrait certes plus bref avec beaucoup moins d’éléments car Rimbaud fait ici parler Verlaine.

1. Un disciple

Verlaine est ici représenté comme un disciple au vers 9 « Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme ». Verlaine est ici en action, mais il tente de transcrire les paroles de Rimbaud dès le vers 5, c’est un discours rapporté. Il y a de même une importance des propos du vers 9 à 13 « Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme : « Je suis de race lointaine : mes pères étaient Scandinaves : ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. – Je me ferai des entailles par tout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperai et me tordrai sur le tapis. ». Il a une attitude paradoxale.

2. Un être soumis et passif

Verlaine est représentatif d’un être soumis et passif. C’est l’élément féminin du couple au vers 1 « Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduit. ». Soumission et passivité le décrivent, il suit Rimbaud, ne prend pas les prises de décision. La reprise du refrain vers 21 « je le suivais, il le faut ! » insiste bien sur sa passivité. Il fait preuve d’impuissance et Rimbaud le décrit comme un être aliéné. Sa soumission se trouve dans toute la 1ère strophe. Il est décrit comme victime face au poète aux vers 1 et 2 « Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde ».

3. Fascination et crainte de Verlaine

Verlaine reste une personne avant tout fascinée et prise d’une admiration, d’un charme pour Rimbaud aux vers 1, 2 et 9 « Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduit. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » ; « Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme : ». Il est fasciné par les paroles qu’il rapporte de son amant. Mais c’est tout de même, la crainte, la peur qui le ronge aux vers 13 et 14 « Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous roulions, je luttais avec lui ! – Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m’épouvanter mortellement. ». Sa soumission reprend donc le dessus. Il est mis en infériorité par rapport à Rimbaud pourtant physiquement moins âgé, plus menu que lui.

III. Un jeu de miroir

1. Ambiguïté du « je »

Le « je » renvoie à Verlaine aux vers 1 et 2 et 21 « Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » ; « Je le suivais, il le faut ! ». C’est une sorte de confession de sa part. Il est question d’une référence autobiographique. Le « je » désigne Verlaine associé à un « vous ». Mais au discours rapporté, le « je » qualifie Rimbaud notamment aux vers 5 et 8 et à la 3ème strophe aux vers 10 et 12 « Il dit : « Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée » ; « dont, moi, j’aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… » ; « ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. – Je me ferai des entailles par tout le corps, » ; « Ne me montre jamais de bijoux, je ramperai et me tordrai sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai… » .

Le « je » peut donc être en effet confondu, mais les prises de parole nous aident à déterminer l’auteur de ce pronom.

2. Ambiguïté de la 3ème personne

Il y a de même une autre ambiguïté qui se fait à ce sujet au niveau de la 3ème personne du singulier « il ». Rimbaud parle de lui à la 3ème personne aux vers 15, 2 et 1 « Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduit. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » ; « Oh ! ces jours où il veut marcher avec l’air du crime ! ». A la dernière strophe, il fait preuve d’une distanciation.

3. Signification du jeu

Rimbaud revendique le portrait fait de lui par Verlaine. Il y a une forme de provocation, de sensibilité. Rimbaud est référencé au démon « Le Démon ! – C’est un Démon, vous savez, ce n’est pas un homme. » Au vers 3. C’est un portrait péjoratif que tire ici Verlaine de son compagnon qui l’incarne comme une personne tout droit sortie de l’enfer. Il y a une forme d’ironie aux vers 3 et 4 « Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! – C’est un Démon, vous savez, ce n’est pas un homme. ». On retrouve un jeu entre ces deux personnes. Une opposition a lieu, Rimbaud face à Verlaine dans la phrase en italique et un jeu de miroir quand Rimbaud décrit Verlaine le caractérisant comme reflétant la complexité du couple.

Conclusion

Vierge folle est un texte profondément original par la prose, c’est une forme moderne novatrice (Baudelaire). Il y a un renouvellement dans le thème, un double portrait et un autoportrait.

Le contexte est autobiographique, cela fait référence à une provocation morale.

On peut rapprocher ce texte d’Aube qui est de la même époque à Vierge folle même si la forme et le contexte ne sont pas les mêmes.

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