Guillaume Apollinaire

Apollinaire, Alcools, Salomé

Poème étudié

Salomé

Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin

Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid

Sire marchez devant trabans marchez derrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire

Apollinaire, Alcools

Introduction

Guillaume Apollinaire est un poète né à Rome le 26 Août 1880 et mort le 9 Novembre 1918.

Guillaume s’inspire des mythes antiques et légendes en 1890. Il démontre toute l’étendue de son génie et de son savoir poétique, en passant par la virtuosité de la versification (« La chanson du mal aimé ») à un vers libre qui annonce les aventures du mouvement surréaliste (« La maison des morts »).

Le poème Salomé appartient au recueil Alcools publié en 1913. Apollinaire revisite ici le thème biblique de la danse de Salomé et le transpose dans un univers différent. Ce texte évoque en fait la peine causée par Annie Pleyden la jeune gouvernante anglaise qui a éconduit le poète. La cruauté de la jeune fille est transposée sur le plan légendaire et il donne ici un sens universel à sa situation, en voyant au travers de ces figures féminines l’illustration de l’éternel féminin.

Comment Apollinaire mêle-t-il dans ce texte la tradition et la modernité ?

I. L’héritage classique

1. la structure

Texte composé de 5 § dont 4 quatrains
La plupart des vers sont des alexandrins ce qui confère au texte une douceur et une musicalité assez trad.
Rimes croisées dans les 1er et 3ème quatrains
Alternance classique de rimes féminines et masculines, même si les féminines dominent légèrement donnant ainsi au texte de la légèreté et mettant en évidence la figure féminine.
Le passé est évoqué aux vers 5/6/7par le biais de l’imparfait : cela fait référence au temps du bonheur avant la mort, avant la séparation.
Le passé simple du vers 12 marque la rupture : on bascule alors dans une autre période.
Le passé composé du vers 12 marque une action achevée, un temps révolu synonyme désormais de tristesse

2. L’histoire

Le titre évocateur rappelle au lecteur la légende biblique de Salomé et de la danse des 7 voiles. Le texte multiplie les allusions au récit initial.
On trouve ainsi le champ lexical de la religion aux vers 1/2/11/22/23 qui permet de faire le lien avec le récit originel.
Les évocations de la danse sont aussi présentes notamment par la présence du verbe danser aux vers 2/6/15/19. Cette répétition assure une cohérence au texte tout en rappelant le motif premier, celui de la danse des 7 voiles effectuée par Salomé pour l’anniversaire d’Hérode.
Les allitérations en [s] de la 1ère § confèrent au texte une certaine musicalité et participent à l’évocation de la danse.
Parmi les personnages présents on retrouve Hérode (v.11) et la mère de Salomé (v.3/16)
A l’ouverture du poème dans le vers 1 se trouve le personnage masculin biblique. Le rythme du vers en 4/5/3 constitue une mise en relief du pers. renforcée par la place en fin de vers.
Son activité de prêcheur est évoquée au vers 5 par le biais du GN placé lui aussi, en relief, en fin de vers.
De même le CC de lieu du vers 10 renvoie directement à son activité : le baptême dans les eaux de ce fleuve.
L’arrestation commandée par Hérode est aussi évoquée aux vers 11 et 12àenjambement
Enfin le châtiment de la décapitation est présent dans le vers 15 par le biais de l’impératif qui suggère une tête séparée du corps ainsi que par l’adjectif « froid » du vers 16 qui connote la mort.
Tous ces éléments inscrivent ce texte dans une lignée classique mais on relève cependant de nombreuses traces de modernité.

II. L’art poétique d’Apollinaire.

1. La structure

Le poème se termine sur un septain aux rimes embrassées et suivies
Au milieu des alexandrins précédemment identifiés se trouvent un décasyllabe (v.14) et trois hexasyllabes (v.21/22/23). Ces quatre vers sont décalés par rapport aux autres comme pour attirer le regard.
Les trois derniers vers accélèrent le rythme comme si la danse de Salomé devenait plus endiablée après avoir été langoureuse (cf. l’opéra)
Dans les 2ème et 4ème quatrains les vers 6/8 et 13/15 ne riment pas mais similitude puisque ce sont les sons [on] et [an] qui se retrouvent. Mais cette irrégularité est à peine perceptible comme si le poète jouait avec les mots.
Absence de ponctuation qui permet de créer son propre rythme à l’image de la danse.
Du point de vue de l’énonciation on retrouve les marques de la première personne du singulier sous les formes sujet 2/6/7/9/20, cpt 3/13 et adj. poss.3/5/12/16/20. Le poème adopte le point de vue de Salomé alors que le texte originel est raconté selon celui de l’évangéliste Matthieu.
Le destinataire est multiple puisqu’on retrouve la 2ème pers. du pluriel aux vers 3/9/11/13/16/17 à la fois comme marque du pluriel et comme marque de politesse.
La syntaxe est elle aussi surprenante notamment au vers 16. Cette construction peut traduire le malaise et la douleur face à la mort du personnage.
Enfin le texte mêle les modes indicatif, subjonctif (v.1/9), conditionnel (v.2) et impératif (3/13à 17) ce qui souligne sa richesse et se diversité.

2. L’histoire

Comme dit précédemment le texte change de point de vue.
Le verbe danser assure la continuité du poème mais il est absent de la 3ème § parce que ce n’est pas la danse qui est décrite dans ce texte.
Salomé a d’autres occupations comme la broderie (v.7/9) ce qui diffère du texte initial.
La nature occupe une place importante au travers d’un champ lexical assez riche : 6/7/10/11/12/13/19 ce qui donne une autre atmosphère au texte. Impression de fraîcheur, de légèreté.
Les personnages eux aussi subissent des modifications : au vers 4 et au vers 14 introduction de l’univers de cour renforcé par le champ lexical de la royauté : v. 2/4/7/11/14/16/21/22. La présence du fou installe une dimension festive.
Le personnage de Salomé diffère également. Au travers du mode impératif elle s’affirme comme une femme volontaire et dominatrice. On est loin de la fillette du texte initial qui agit pour obéir à sa mère.
La répétition du verbe battre au vers 5 souligne son exaltation et son émotion.
Elle apparaît comme une femme amoureuse de Jean-Baptiste dont elle semble vouloir le bonheur comme le montre le subjonctif du v.1
Les allitérations en [t] et [r] de la dernière § rendent la danse plus brutale.
Salomé est ici une femme fatale qui tient le sort des hommes entre ses mains.

III. Salomé, une femme double

1. Les activités de Salomé

Elle est originale tout d’abord par le choix du titre, car il lui donne le prénom de la femme.
Salomé est représentée par ses activités « V2 « je danserais » ; V5 « battait » ; V6 « je dansais » ; V7 « je brodais » et au vers 8 « je brode ».
Tout de même son activité essentielle est la danse. Au vers 8, il évoque les lys qui est un signe de royauté.

2. Une femme active

Du vers 13 à 17, Salomé donne des ordres, au fou du roi, à sa mère, au roi et aux soldats.
Elle devient celle qui donne des ordres, elle passe donc des activités passives aux activités actives.
Elle donne l’image d’une femme cruelle, car celle-ci choisit de faire mourir son amant ; il y a une opposition entre la mort et la danse.

3. Une femme mystérieuse

C’est une femme mystérieuse, qui plait mais tout en étant perverse c’est donc une femme double.
Dans ce poème sont présentées deux femmes Salomé et sa mère. Elles sont toutes les deux amantes de Jean-Baptiste.
Sa mère est une femme de haut rang. Au vers 16 la mère semble ne pas comprendre.
Même si c’est l’histoire de Jean-Baptiste, celle-ci est beaucoup plus dominée par la femme.

IV. L’art poétique d’Apollinaire

1. Un esprit nouveau

L’art poétique d’Apollinaire c’est d’abord un « esprit nouveau » en poésie et nous allons analyser comment est formé ce poème.
Il utilise des rimes croisées pour les quatre quatrains, mais pour la strophe 5 il utilise des rimes embrassées. Les quatre derniers vers sont des rimes suivies en « ère ».
L’organisation de ces rimes est très complexe. Il y a une alternance entre la rime masculine et la rime féminine cependant il y a plus de rimes féminines ce qui met en valeur la légèreté.
Dans ce poème se trouve une rime pauvre et une rime très riche. Il y a des allitérations, qui sont des répétitions de sons consonnes.

2. L’importance du rythme

En écrivant cette poésie, Apollinaire a utilisé des rythmes pour mettre en valeur certains mots.
Dans le 1er vers en faisant un rythme décroissant cela met en valeur Jean-Baptiste. Dans le V23, le rythme est différent pour mettre en valeur l’action du curé.
Il utilise des rythmes classiques, qui sont fréquents dans la poésie (V7/V3/ V4), il y a d’autre critère qui montre qu’on est dans une poésie moderne c’est le décasyllabe au V14. Celui-ci fait des alexandrins ternaires aux vers 4-11-12, mais aussi des hexasyllabes à la fin pour mettre en valeur la ronde ainsi que la légèreté, une fois encore. Dans le vers 16, le rythme met en évidence qu’on est troublé, et la mort de Jean-Baptiste est évoqué mais dans ce vers il y a un problème de syntaxe car l’ordre de la phrase n’est pas normale.
Au vers 5 ce trouve une répétition du mot « battait » qui met en évidence l’émotion, de plus il met un rythme fort pour le cœur.
Chaque strophe est organisée, l’opposition entre les vers 1 et 2 marque le regret du passé car Jean-Baptiste va être condamné et un futur impossible, de plus les deux femmes qui sont Salomé et sa mère se trouvent concurrentes. Les vers 18-19 sont construits de façon parallèle, ces deux vers commencent par « nous », ce qui montre bien qu’Apollinaire a eu une volonté de parallélisme.
A la strophe 3, vers 9-12 il y a une transition, c’est l’oubli du passé, c’est l’envoi de Jean-Baptiste vers sa condamnation, c’est l’avant supplice.
Dans la strophe 4 on est dans le réalisme, la tête qui est prise, c’est le supplice en lui-même.
Pour finir à la strophe 5, c’est l’enterrement de Jean-Baptiste, ceci est l’après supplice mais il y a des choses sur cette mort qui ne sont pas dites.
Apollinaire considère sa poésie comme de la musique c’est pour cela qu’il a fait des choix de versification modernes et nouveaux, et en mélangeant ses types de vers en passant des alexandrins ternaires et binaires au décasyllabes et hexasyllabe il fait d’elle une poésie légère. Ceci montre que l’essentiel est dans la modernité.

Conclusion

Inconstance de la femme, dans bonheur et souffrance. Fantaisie mais reste pudique. Une grande souffrance est masquée dans ce texte de facture plutôt classique.
Apollinaire tente d’exorciser l’image d’Annie Pleyden qui le tourmente. Cette dernière est à la fois jean Baptiste et Salomé.
Apollinaire considère sa poésie comme de la musique c’est pour cela qu’il a fait des choix de versification modernes et nouveaux, et en mélangeant ses types de vers en passant des alexandrins ternaires et binaires au décasyllabes et hexasyllabe il fait d’elle une poésie légère.
Ce poème lyrique aux formes renouvelées fait de Guillaume Apollinaire un poète entre tradition et modernité poétique.

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