Pierre Carlet de Marivaux

Marivaux, L’Île de Esclaves, Scène 3

Introduction

C’est avant tout une comédie qu’a mis en scène Marivaux au 18ème siècle avec « L’île des esclaves« . Le dramaturge y présente en effet une inversion des rôles, où les maîtres sont jetés dans la servitude, et où les valets eux, accèdent au pouvoir. Au cours de cette scène, Cléanthis, ancienne suivante, se doit d’établir le portrait de sa maîtresse. Cet extrait est donc l’occasion pour Marivaux de dénoncer à la fois la coquetterie des femmes de l’aristocratie de son époque, ainsi que la rancœur des valets qui ont souffert, d’abord par le portait d’une coquette qui est effectué, ensuite par la satire sans complémente de Cléanthis.

I. Le portrait d’une coquette

Euphrosine est un être narcissique, superficiel et changeant dont Cléanthis effectue un portrait criant de vérité.

Euphrosine voue un culte à son apparence. Sa coquetterie est la manifestation, égoïste et narcissique, de cette préférence pour soi-même qu’est l’amour propre. Entièrement tournée vers elle-même, elle se place au centre son univers. Cléanthis expose ce trait de caractère lorsqu’elle évoque l’épisode où elle décréta trouver sa maîtresse une des plus belles femmes du monde. Flattée par sa coquetterie, elle ne recherche pas la spiritualité ou la bonté, mais au contraire à être belle.

L’évocation des vapeurs de mignardises montre bien à quel point Euphrosine est un être superficiel emprisonné dans la coquetterie de certains codes mondains. Manipulatrice, elle agit de certaines façons afin de provoquer une réaction bien calculée au préalable chez autrui (cf. épisode du négligé qui marque tendrement la taille). De même, l’évocation de l’épisode de la loge au spectacle montre bien son orgueil, la compétitivité les jalousies face aux autres femmes.

Euphrosine est un véritable stéréotype de la femme « vaine, minaudière et coquette », hypocrite et fausse de la haute société. Une société où se sont principalement les apparences qui dominent.

Cléanthis tend un miroir très véridique à Euphrosine, première étape de la correction des maîtres et des maîtresses effectuée afin de révéler leurs défauts au grand jour, car « on ne peut corriger les hommes qu’en les faisant voir tels qu’ils sont ».

II. Une satire sans complaisance

Alors que le portrait de la maîtresse révèle bien des caractéristiques au sujet d’Euphrosine, elle en dévoile également aux égards de Cléanthis.

Cléanthis se montre en effet incapable de parler de son ancienne maîtresse avec retenue et mesure. Elle énumère les contradictions et les défauts d’Euphrosine avec beaucoup de précision; elle se souvient de chaque fait très précisément, notamment de l’épisode des vapeurs de mignardises qui souligne son côté contradictoire, hypocrite et coquet. Les ruses auxquelles elle s’était livrée à Athènes (« qu’elle croyait que je ne m’en doutais pas », « à son insu ») peuvent enfin être révélées afin de dévoiler ses failles. Son discours très vivace témoigne de son exaspération.

La rancœur de Cléanthis est nettement perceptible dans ce passage. On remarque qu’elle ne désigne jamais sa maîtresse par son prénom, mais seulement par le substantif ennobli par la majuscule « Madame » qui rappelle non sans ironie, son ancienne subordination. En contraste, elle emploie le pronom personnel « je » significatif du lien rompu entre maîtresse et suivante, se référant à sa propre identité. Ainsi, elle traite avec sarcasme et mépris celle qui l’a faîte souffrir.

De plus, étant de ce fait maîtresse à son tour elle peut adopter librement la parole, indicateur de prise de pouvoir, ayant la liberté d’exprimer ses pensées sans menace. Elle cherche à se venger, et y parvient par la parole et par son portrait : en effet, Euphrosine déclare ne pouvoir en « souffrir d’avantage ».

Cléantis, cependant, ne se contente pas seulement d’utiliser la parole comme outil de vengeance, elle en abuse, démontrant ainsi son véritable ressentiment. En effet, Trivelin se doit d’intervenir à trois reprises en tant que médiateur de la situation, avec « en voilà donc assez pour à présent », « cela suffit », et « mais je vous ai prié de nous laisser ». Cléanthis ne souhaite pas mettre fin à sa revanche, révélant ainsi sa rancœur à l’égard de sa maîtresse.

Conclusion

Ce portrait d’Euphrosine est l’occasion, pour Marivaux, de railler le comportement des femmes galantes de l’aristocratie de son époque. Il fustige les clichés sociaux et représente des femmes « vaines, minaudières, coquettes ». De plus, alors que cette scène est un véritable miroir de la société féminine de l’époque, elle sert également à montrer, par la satire de Cléanthis, que la condition sociale de celle-ci a été extrêmement douloureuse, étant donné sa rancœur et son ressentiment. Comment être raisonnable dans une telle situation, comment ne pas appliquer la loi du Talion? On devine que Cléanthis aussi devra être corrigée par ses défauts dans le cadre de la pièce : elle doit apprendre la modération, à ne pas abuser du pouvoir lorsqu’elle le possède.

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