Pierre Carlet de Marivaux

Marivaux, ‘L’Île des Esclaves, Scène 1

Introduction

La première scène est une scène d’exposition. Elle met en scène l’analyse des rapports entre maîtres et valets et étudie leur évolution, d’abord par le fait que ce soit une scène de rébellion, ensuite par le caractère non moins comique de cette scène. Ces deux composantes permettent ainsi d’effectuer de nombreuses révélations.

I. Une scène de rébellion

A. Les didascalies

Elles nous révèlent qu’Iphicrate est un être à la sensibilité vive, dont les émotions s’enflamment au fil de la scène (‘après avoir soupiré’/’à part’/’un peu ému’/’retenant sa colère’/’au désespoir’). Au contraire, Arlequin est représenté comme un être légé et jovial (‘avec une bouteille’/’prenant sa bouteille pour voir’/’siffle’/’distrait’/’chante’/’riant’/’badine’). Ces stéréotypes (couple traditionnel maître/valet de la comédie classique) s’opposent dans leur comportement et dans leurs préoccupations : naissance d’une tension (surtout à la fin : cf. didascalie de l’épée) et l’étude des didascalies esquissent ce mouvement au cours de la scène.

B. La prise de parole

I : Interpellation d’Arlequin, l’apostrophe le convoque : créé une situation d’énonciation où le valet ne peut que répondre. De plus, la réplique d’Arlequin, au lieu de lancer la discussion, révèle sa soumission. En bon esclave, Arlequin subit la volonté de son maître : ‘mon patron’ (= aveu explicite de sa dépendance lors de l’énonciation de sa présence). De même, il se contente de reformuler les propositions de son maître. Le valet avoue son ignorance face au maître qui détient les informations : ‘oh oh oh, qu’est-ce que c’est que cette race là ?’.

II : Mais la dernière réplique d’Arlequin note une transformation : malgré l’arme, il ne tremble plus ; il est délivré de sa condition d’esclave et a conquis d’emblée sa liberté de parole et donc de rébellion. La révélation de la nouvelle loi provoque la rébellion passive aux ordres (cf. huhuhu, ahahah, tala ta la rala …). L’aparté d’Iphicrate met l’accent sur l’instant décisif où Arlequin prend conscience de son nouveau statut donc de son pouvoir de désobéissance. La déclaration d’indépendance finale en sera l’expression la plus forte.

III : Donc trois étapes : soumission, désobéissance, puis rébellion soulignent l’écart croissant qui se creuse. Les deux protagonistes étaient un couple au départ, et sont maintenant des individualités livrées à elles-mêmes.

C. Les pronoms personnels

I : Avant la reconnaissance du lieu du naufrage domine le ‘nous‘ : sort commun unissant le couple qui partage le même malheur malgré la différence des conditions (tutoiement/vouvoiement) : ‘nous deviendrons…’ – ‘nous sommes…’.

II : Découverte du lieu (= dissociation). leu situation n’est en fait pas commune : pour l’un la mort, pour l’autre, la liberté. Le ‘je‘ d’Iphicrate triomphe : ‘Si je ne me sauve…’ ‘mais je suis en danger…’. Le ‘je’ d’Arlequin ne cesse d’affirmer cette différence : ‘je vous plains, mais je ne saurais m’empêcher d’en rire’. Iphicrate tente de reconstituer le ‘nous‘ d’origine par la forme de son discours, mais Arlequin montre le divorce en rompant le dialogue par une chanson badine.

III : Le ‘ici’ autorise de nouveaux rapports de force que le langage doit marquer. La didascalie se reculant d’un air sérieux’ s’oppose à toutes les autres et annonce l’instant bouleversant de la métamorphose : le tutoiement inouï du valet réalise un changement d’espace énonciatif. Le valet devient maître par la parole, au cours d’un conflit d’une crise violente, confirmé par les trois champs lexicaux majeurs.

D. Les trois champs lexicaux majeurs

I : Champ lexical de la dépendance : ‘patron’, ‘esclave’, ‘maîtres jetés en esclavage’. Notions de violence subie par les esclaves avec le gourdin. Ce champ lexical dessine une société brutale où règne la violence physique et institutionnelle : rapports de force et d’injustice.

II : Champ lexical de l’insularité : mot ‘île‘ répété quatre fois, le titre, renforcé par ‘ici‘. L’insistance est justifiée par la nécessité d’indiquer le lieu théâtral au spectateur. Cf. Évocation du naufrage : l’île est donc le lieu de tous les dangers. La didascalie initiale souligne cette localisation particulière. Les personnages sont coincés dans un espace réduit bordé par une mer sauvage, et sont menacés par des indigènes cruels. Ambivalence de la mer qui tue les compagnons, mais qui permet aussi de fuir.

III : Champ lexical du péril : le risque de mort (‘noyés’/’morts de faim’/’tuer les maîtres’/’danger de perdre la vie’) et la volonté de survie (‘happé/’bonheur d’aborder’/’eau de vie’/’j’ai sauvé’/’nous tirer’/’si je ne me sauve’/’s’ils sont en vie’).

IV : Donc cette recension révèle une situation de crise : danger de mort ou de liberté. Mais une autre situation doit être affrontée : celle de la perte de l’identité sociale. Iphicrate n’est maître que s’il y a un esclave qui reconnaît par son statut celui du maître : Cf. ‘mais j’en ai besoin d’eux, moi’.

E. Les marques du temps

Le présent employé condamne le futur ainsi que la maître pour qui la situation est invivable. La tirade d’Arlequin au passé composé indique son passé révolu d’esclave soumis et son futur marque justement cette transformation à venir. Le présent est le moment où tout bascule. Changement du cours des choses, et Arlequin dévoile la suite de la pièce, son intrigue et sa morale.
La pièce met en scène de nouveaux rapports entre maître et valet par l’inversion des rôles, qui présente les éléments et situe les enjeux de l’intrigue.

II. Une scène comique

En outre, cette scène expose le registre de la pièce.

A. Un paradoxe

Situation dramatique surtout avec Iphicrate qui « s’avance tristement », mais le nom d’Arlequin évoque tout de suite le personnage comique.

B. Le comique

– De gestes.
– De mots.
– De situation.

Conclusion

La situation est dramatique, et la sympathie va spontanément à Iphicrate, mais le renversement de situation est savoureux et Arlequin, bon vivant, chante et donne une tonalité comique. Deux lectures sont possibles, l’une dramatique, l’autre cocasse.

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