Hugo, Demain dès l’Aube
Introduction
Le poème « Demain dès l’aube » nous raconte en trois strophes le pèlerinage annuel que l’intrépide marcheur qu’était Victor Hugo effectuait entre le Havre et le cimetière de Villequier. Occasion pour le poète d’un retour sur lui-même, en même temps qu’une volonté de retrouver celle qui n’est plus. Tout en suivant le poème dans sa démarche (départ, pèlerinage, arrivée), nous nous intéresserons plus particulièrement à l’apparent refus de la poésie.
I. Le départ
Comme tout évènement souhaité, il est attendu avec impatience ; on a trois précisions temporelles qui s’efforcent de situer l’action (« demain, aube, heure »).
Un temps cependant qui s’égraine lentement, comme nous l’indique le rythme du vers : 2+2+8 et le rejet du verbe « partir ».
Hugo va donc vivre et revivre l’évènement avant l’heure. Le départ fixé à l’aube (développé par la périphrase : « heure à laquelle blanchit la campagne ») se situe à l’instant où la nature s’efface dans les grisailles matinales, des heures qui sont favorables à un repli sur soi.
Toute la volonté du poème semble tendue sur le but à atteindre, la marche est rythmée, régulière (répétition de « j’irai »), on note une coupe à l’hémistiche. Les obstacles naturels semblent avalés par la préposition « par ».
La nature pour une fois n’est pas perçue dans ses charmes, mais il s’attache à sa composition globale (« forêt, montagne »), on ne note aucun détail pittoresque.
Au bout de cette marche, il y a un but affectif. Le « vois-tu » et sa familiarité suggèrent une femme aimée.
Le jeu des pronoms « je, tu, m' » tresse un lien affectif, souligné par la certitude de l’amour ; la phrase se termine par un long cri développé par le rythme 3+3+3+3.
II. Le voyage
Le voyage prend l’allure d’un pèlerinage, d’une méditation, d’une volonté introspective : « les yeux fixés sur mes pensées ». Le poète tourne le dos aux sources mêmes de sa poésie.
On note un rejet des sensations visuelles et auditives qui généralement nourrissent l’auteur. Ce rejet est mis en valeur par la fermeté de la coupe à l’hémistiche, la rime masculine et les quatre négations « sans, rien, sans, aucun ».
Le pèlerinage devient comme un chemin de croix par l’élévation qui est douloureuse et le rythme 1+3+4+4 (prononciation allongée) « seul / inconnu / le dos courbé / les mains croisées » : la position est celle d’un pèlerin (« dos courbé, mains croisées »).
Les deux adjectifs (« seul, triste ») mis en valeur par la ponctuation de sont pas un constat mais plutôt une volonté.
La strophe se termine par une métaphore antithétique chère à Hugo qui vient de décrire l’état d’âme opposant le jour extérieur et la nuit du cœur.
III. L’arrivée
C’est toujours la même volonté de rester immobile au spectacle extérieur qui est mise en valeur et soulignée par la triple négation « ne, ni, ni ».
Et pourtant le poète ne peut s’empêcher de nous décrire le moment crépusculaire ; la métaphore brillante « l’or du soir » a valeur oxhydrique, le rythme 3+3+3+3 décrivant admirablement la lente évolution des bateaux sur le fleuve, bateaux allégés de leur coque par la métonymie « des voiles ».
Et pourtant, la sonorité dominante de la strophe est bien pessimiste. Annoncée par l’homonymie phonétique « tombe, tombe » qui connote la mort. Ce qui est naturellement une surprise, mais surtout les obsèques du poète qui ont une valeur symbolique. D’un côté l’éternité du « houx vert », de l’autre l’éphémère de la « bruyère en fleur ».
Conclusion
Les trois strophes semblent tout d’abord être le refus de la consolation poétique, et pourtant, de par sa simplicité, ce mystérieux dialogue entre le père et sa fille est certainement un des plus beaux poèmes des « Contemplations ». En même temps, il vient nous rappeler cette croyance de Victor Hugo de la vie après la mort. C’est en effet souvent à Guernesey qu’il se livrera à des séances de spiritisme pour rétablir le dialogue avec Léopoldine.